Étiquette : Denis Roche

1-15mars2023 / Ville(s), ombre(s) & colère(s)

Sur le fleuve Têt – Perpignan – sans date.

Voici la ville telle qu’elle s’est écrite durant cette quinzaine : ses rues, ses boulevards débordant de colère contre l’injuste, la ville dans le matin calme des promeneurs solitaires, la ville des souvenirs intimes de l’enfance et ses ombres.

(Note d’intention)

Tout, ici, au fil de l’eau comme elle défile, mince filet, image après image, grains de sablier. Pour prendre date.

L’image livrée à elle-même ; l’image pour elle-même.

Fragments de réel qui, assemblés, formeraient un récit-images ; il y a, dit Denis Roche, tous les jours une photographie à prendre, ce n’est pas la citation exacte mais son esprit, nulle dies sine… photographie ; s’efforcer, donc, d’en réaliser a minima une par jour sachant qu’il y aura fatalement des tremblés, des jours sans…

La photographie comme note de journal, à la fois lecture & écriture d’un instant dans le monde.

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mercredi15mars

Manifestation contre la réforme des retraites – Square André Chénier, Carcassonne – 15 h 34.

mardi14mars

Rue Nungesser et Coli, Carcassonne – 16 h 46.

dimanche12mars

Un récit images (1) – Avenue Charles de Gaulle, Perpignan – 8 h 34.
Un récit images (2) – Avenue Charles de Gaulle, Perpignan – 8 h 35.
Un récit images (3) – Avenue Charles de Gaulle, Perpignan – 8 h 36.
Pont de chemin de fer – Avenue de Grande-Bretagne, Perpignan – 8 h 44.

samedi11mars

Manifestation contre la réforme des retraites – Boulevard Jean Bourrat, Perpignan – 11 h 38.
Gare SNCF de Perpignan – Vue du boulevard du Conflent – 14 h 21.
Maison des Communistes – 44 avenue de Prades à Perpignan – 14 h 31.

vendredi10mars

Rue Jean-Baptiste Lulli, Perpignan – 16 h 47.

jeudi9mars

Gare SNCF de Perpignan – Jour de grève – 14 h 14.
Gare SNCF de Perpignan – Jour de grève – 14 h 15.
Gare SNCF de Perpignan – Jour de grève – 14 h 16.

mercredi8mars

Rue des écoles, Le Boulou – 15 h 00.
Rue des écoles, Le Boulou – 15 h 02.

mardi7mars

Rémi à la manifestation contre la réforme des retraites – Place de Catalogne, Perpignan – 10 h 33.
Manifestation contre la réforme des retraites – Place de Catalogne, Perpignan – 10 h 34.
Manifestation contre la réforme des retraites – Place de Catalogne, Perpignan – 10 h 41.
Manifestation contre la réforme des retraites – Boulevard Jean Bourrat, Perpignan – 11 h 52.

lundi6mars

Boulevard du Conflent – Quartier Gare, Perpignan – 15 h 38.

samedi4mars

Flashmob, manifestation contre le projet de loi Darmanin sur l’immigration – Quai Sadi Carnot, Perpignan – 19 h 19.
Manifestation contre le projet de loi Darmanin sur l’immigration – Quai Sadi Carnot, Perpignan – 16 h 02.
auteur
Rue Louis Pasteur – Perpignan – 15 h 28.

vendredi3mars

Berlin Maison n°29 – Rue Louis Pasteur, Perpignan – 16 h 33.
Aux Dames de France – Place de Catalogne, Perpignan – 17 h 37.
Immeuble aux palmiers – Place de Catalogne, Perpignan – 17 h 38.

jeudi2mars

Stephan devant son kiosque – Place Catalogne, Perpignan – 10 h 28.

mercredi1ermars

Arrivage de livres d’occasion – Bureau, Perpignan – 17 h 03.

Avril recommence

Denis Roche à Gilles Delavaud sur sa pratique de la photographie : « Pour moi, la photographie, depuis au moins une dizaine d’années, a joué tout à fait le rôle d’un journal intime (…) C’est une manière d’enregistrer les gens que je croise et les lieux que je fréquente, c’est tout, et de dater les uns et les autres ». 

Enregistrer. Dater. Comme on tient registre des faits qui, dans leur nudité, nous traversent.

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Tel le « mécrit » de Denis Roche, une invitation au « désécrire ».

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Dans l’hypothèse où pourrait prendre forme un journal intime : écrire sans savoir. Surtout ne pas savoir.

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Un rideau me sépare de la réalité. Vivant pourtant au milieu du vivant. Nul ne mesure le débit du fleuve à nos pieds. Tout ici est approximation véhémente.

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un peut-être poème
sur un lit de silence et de sable

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[Paris, avril] 

Je devrais écrire un poème mais je ne sais où ma phrase commence 
j’ignore la forme qu’elle revêtira ni si elle revêtira seulement une forme
face à moi l’énigme 
un mur de pierres sèches un mur de pierres sèches

tel le poème 
mural 
et le vers qui le ronge 

si je devais maintenant écrire un poème j’écrirais que je n’ai rien à écrire sinon un objet en forme de silence sur un lit de sable 
un peut-être poème sur un
lit
de silence et de sable

comme avril recommence

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La difficulté du journal ? Tenir et croire. Roland Barthes : « Je n’ai jamais tenu de journal – ou plutôt je n’ai jamais su si je devais en tenir un. Parfois, je commence, et puis, très vite, je lâche – et cependant, plus tard, je recommence. C’est une envie légère, intermittente, sans gravité et sans consistance doctrinale. Je crois pouvoir diagnostiquer cette « maladie » du journal : un doute insoluble sur la valeur de ce qu’on y écrit ». 

La maladie, comme dit Barthes, de commencer et recommencer dans un même mouvement d’appartenance et de libération – [cette idée ténue que] si je tiens un journal j’appartiendrai à ce que j’écris – or qu’il s’agit au contraire de s’en libérer, de s’en tenir le plus loin possible

ou alors, tenir un journal disant l’impossibilité de tenir un journal.

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La nature du poème consiste à se dérober à sa nature propre. Denis Roche : « J’écris des poèmes à mon insu ».

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Sources : Denis Roche, La disparition des lucioles (réflexions sur l’acte photographique), Seuil Fiction et Cie, 2016 ; Denis Roche, La poésie est inadmissible, Seuil Fiction et Cie, 1995 ; Roland Barthes, citation non située.

3 octobre 2022-8 mars 2023

Une assignation au présent

« Il y a vraiment deux périodes dans la photographie : avant l’instantané et après l’instantané. L’instantané est vraiment quelque chose de très particulier. Il n’y a aucun équivalent dans quelque domaine que ce soit de ce phénomène de l’instantané : n’importe quel instant est photographiable c’est-à-dire captable et mis aussitôt dans sa poche, avec un Polaroid. C’était une urgence sous-jacente à l’art tout entier dans son concept le plus religieux, qui était de pouvoir arrêter le temps. On ne peut pas l’arrêter une fois définitivement, mais on peut s’amuser – parce que c’est très ludique aussi – on peut s’amuser à l’arrêter de temps en temps et l’appareil photographique, l’instantané, joue ce rôle-là. On l’arrête tout le temps, on peut l’arrêter à n’importe quel moment tout le temps, en répétant cet arrêt et en le mettant dans sa poche. L’invention la plus bouleversante qui ait été faite dans l’histoire de l’humanité, je crois vraiment que c’est la photographie ». 

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n’importe quel instant est photographiable c’est-à-dire captable et mis aussitôt dans sa poche

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ce que montre la photographie est l’image d’un instant
l’objet représenté n’y change rien 
cette photographie est la représentation d’un instant pris au temps 

ce que j’attends de la photographie est qu’elle m’assigne au présent

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le développement du film Polaroid i-type color est une réaction chimique complexe, déclenchée par sensibilité à la lumière, et influencée par divers paramètres, comme la température, le temps écoulé depuis la fabrication du film, et les manipulations mécaniques, entre autres. Il est donc non seulement possible que les résultats varient, mais ce phénomène est même un élément crucial de ce film analogique instantané

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Un instant suffit à dire le monde.

La nuit tombe sur le campo où se sont rassemblés filles et garçons. Ils parlent fort. Gesticulent. Se racontent leur journée. Ils sont enjoués. Elle tient son chien en laisse de la main gauche, un verre et une cigarette américaine dans la droite. Elle prend part à la conversation en cherchant son équilibre, tangue, parvient difficilement à maîtriser l’animal. Elle s’est écartée du groupe et contemple maintenant le va-et-vient des vaporetti sur le Grand Canal. La circulation est dense à cette heure. Elle rêve d’heures lointaines. La ville s’éloigne dans un manteau de brouillard. Son chien veille. La nuit tombe. On devine les contours d’un puits au centre de l’image. A l’arrière-plan deux silhouettes se rapprochent ou s’éloignent.

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qui dit sensibilité à la lumière dit sensibilité au monde
la photographie dit quelque chose de notre rapport à la lumière et son envers

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la nuit tombe sur le campo

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puis il y a la température, le flux de sensations, le temps, les manipulations, la transparence des atmosphères
images auxquelles auraient été ôtées toute fonction narrative
paramètres aléatoires
reflets de mémoire

de l’in/fini 
toujours recommencé

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Sources : Denis Roche, La disparition des lucioles (réflexions sur l’acte photographique), éditions du Seuil, Fiction et Cie ; Caractéristiques du film Polaroid i-type color, telles qu’on peut les lire, imprimées dans l’envers de son emballage cartonné.

17 & 25 février 2016-20 février 2021

Ecrire : vierge

Le poème disait : dans la nature humide où dorment les ormeaux.
ou quelque chose de ressemblant mais inachevé, en attente
hors mots

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Rien écrit aujourd’hui sinon épuisé quelques feuilles de carnet couvertes d’une écriture impatiente, au crayon à mine. Y sont recensés le prix des mots, les cris, les oripeaux, les salves, les drapeaux, la pantomime, les ormeaux, une vierge au caducée (ce pourrait être le titre d’un tableau), une main dévastée. 

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Le musée des Beaux-arts de Reims conserve une peinture anonyme du XVIIIe siècle représentant une vierge dont l’occultiste Oswald Wirth a donné en 1909 une interprétation alchimique. La vierge bleue située au centre du tableau tient dans ses mains des objets singuliers. Elle n’arbore pas un caducée mais le personnage vêtu de rouge au second plan et que l’on dit être un Adepte dispose de cet attribut d’Hermès qui passait pour guérir les morsures de serpents. Le tableau est hermétique. Il cache ce qu’il montre. Seule, l’inscription grecque au bas de la toile, parle.

« Vierge, j’ai enfanté un enfant n’ayant pas de parents ». Enigmatique.

Vierge alchimique
musée des beaux-arts de Reims

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La nature du poème est de se dérober à sa nature. Il vit à son insu. Le poème s’ingénie à ne pas être. Un poème ne se compose pas. Il se décompose. Se dé/fait.   

Hors mots.

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écrire sans savoir, surtout ne pas savoir.

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« J’écris des poèmes à mon insu ». 

André Frénaud raconte qu’ayant écrit – tardivement – son tout premier poème, il ignorait que ce drôle d’objet qu’il tenait entre ses mains en fût un. Ce sont des amis qui, dit-il, le lisant, lui ont appris qu’il s’agissait d’un poème.

C’est là toute la difficulté d’écrire. On ne sait pas.

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Désécrire
écrire vierge
hors les mots

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quelque chose comme
un mécrit

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Sources : Denis Roche, Le Mécrit, in La poésie est inadmissible, Seuil Fiction et Cie. 

19 janvier 2020-11 janvier 2021-30 septembre 2022