Denis Roche à Gilles Delavaud sur sa pratique de la photographie : « Pour moi, la photographie, depuis au moins une dizaine d’années, a joué tout à fait le rôle d’un journal intime (…) C’est une manière d’enregistrer les gens que je croise et les lieux que je fréquente, c’est tout, et de dater les uns et les autres ».
Enregistrer. Dater. Comme on tient registre des faits qui, dans leur nudité, nous traversent.
-o-
Tel le « mécrit » de Denis Roche, une invitation au « désécrire ».
-o-
Dans l’hypothèse où pourrait prendre forme un journal intime : écrire sans savoir. Surtout ne pas savoir.
-o-
Un rideau me sépare de la réalité. Vivant pourtant au milieu du vivant. Nul ne mesure le débit du fleuve à nos pieds. Tout ici est approximation véhémente.
-o-

un peut-être poème
sur un lit de silence et de sable
-o-
[Paris, avril]
Je devrais écrire un poème mais je ne sais où ma phrase commence
j’ignore la forme qu’elle revêtira ni si elle revêtira seulement une forme
face à moi l’énigme
un mur de pierres sèches un mur de pierres sèches
tel le poème
mural
et le vers qui le ronge
si je devais maintenant écrire un poème j’écrirais que je n’ai rien à écrire sinon un objet en forme de silence sur un lit de sable
un peut-être poème sur un
lit
de silence et de sable
comme avril recommence
-o-
La difficulté du journal ? Tenir et croire. Roland Barthes : « Je n’ai jamais tenu de journal – ou plutôt je n’ai jamais su si je devais en tenir un. Parfois, je commence, et puis, très vite, je lâche – et cependant, plus tard, je recommence. C’est une envie légère, intermittente, sans gravité et sans consistance doctrinale. Je crois pouvoir diagnostiquer cette « maladie » du journal : un doute insoluble sur la valeur de ce qu’on y écrit ».
La maladie, comme dit Barthes, de commencer et recommencer dans un même mouvement d’appartenance et de libération – [cette idée ténue que] si je tiens un journal j’appartiendrai à ce que j’écris – or qu’il s’agit au contraire de s’en libérer, de s’en tenir le plus loin possible
ou alors, tenir un journal disant l’impossibilité de tenir un journal.
-o-
La nature du poème consiste à se dérober à sa nature propre. Denis Roche : « J’écris des poèmes à mon insu ».
-o-
Sources : Denis Roche, La disparition des lucioles (réflexions sur l’acte photographique), Seuil Fiction et Cie, 2016 ; Denis Roche, La poésie est inadmissible, Seuil Fiction et Cie, 1995 ; Roland Barthes, citation non située.
3 octobre 2022-8 mars 2023