Étiquette : Pierre Guyotat

Feuilleter le temps

plus vaste artificiel immense modèle jeu vrai faux texte contrarié la liberté d’aimer la vérité sauf Rimbaud plus intime petites choses au collège le grand tac au tac des livres d’action répliques d’une traite brève dans une langue aisée rythmique mesure libre exercice de détente dilemme figures humaines pas humaines retravaillées toujours à l’iPad mini je ne me souviens plus très bien fin avril petite esquisse brute première scène attaque l’automne consistance même chaleur (le droit imprescriptible de la fiction) je ne me souviens plus très bien vécu d’artiste fictionneur les choses pas y aller voir mettre la main

par moment vivre

apercevoir l’immédiateté incessante illusion du présent rêver la chose que l’on voit comme le Sphynx écrire en langue & feuilleter le temps

(avec Pierre Guyotat)

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une langue aisée rythmique mesure libre

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« La fille se désenlace du python, le porte à deux poings, en fait passer la tête entre la cuisse du petit et le cou du cadet, repose le reste du reptile sur l’épaule droite du cadet, la queue pendant sur le devant du corps, puis rejoint l’aîné et se presse contre lui. De l’aîné sort une voix plus basse que la sienne, son ventre s’anime : la voix, accompagnée d’un mouvement du doigt levé, signifie, dans le même dialecte, ce que chacun sait ; du vent, de terre et de mer, de dessous les bâches, entre les pitons, couche les fumées sur la scène ; l’aîné – d’où les sort-il – lance les boules de couleur aux mains de ses frères qui jonglent avec : la tête du python suivra-t-elle l’évolution des boules dans le vide ? les boules accélèrent, la fille elle-même les intercepte et les relance ; de son ventre sort vers sa bouche une voix qu’elle ramasse de toutes les décharges et couches publiques ; le python alors, dont le cadet, tout en relançant les boules, pince très fort la queue, laisse sortir sa langue dans le reste de lumière secouée et les fumées accrues ; une boule rouge vole que la bouche de la fille, fardée de rose, intercepte, fait rouler sur le fil de ses lèvres puis d’un souffle la rejette au-devant d’elle dans l’obscurité. Les enfants crient : au moins savent-ils de peu que la pomme doit être mangée ; sinon, pour les adultes, à quoi bon ce tourment d’âge en âge ? Mais ne pourrait-on pas rester dans cette attente, dans ce jeu, vivre selon ce jeu ? Avant même la Faute qui est comme l’orgasme il y a ce suspens du Monde, du sort humain, ce quadrilogue Dieu, le Diable, Adam, Eve ».

Pierre Guyotat (Arrière-fond)

de sorte que

à quelle heure ton train ? il s’en moque, ne répond pas, balbutie dix-huit heures vacille, puis reprend, laisse tomber, ramasse les sagaies des indiens pâles roulent en rolls sur l’asphalte déserte & toi, tu en es où ? j’ai fait mille choses tu n’imagines pas ma vie, un chaos un désert une friche tu es toujours avec ? tu parles, m’a plaqué comme les autres, des foutus en sortant, après trois verres,

trois, les ai comptés j’te dis, buté sur la roue d’une trottinette abandonnée au sol, jetée à terre une vulgaire je sais pas moi t’imagines ? comme si on te laissait là un chiffon une poupée froissée aux mains de la populace p’tain je roule en rolls jusqu’au fin fond du désert moi pas la peur au ventre juste dessous là où ça fait mal quand on coupe la langue pas la peur on en reparle

à quelle heure ton train ?

artiste fictionneur

9 février 2020-20 janvier 2021

Dans la trame des choses

Comment figurer le monde ? Comment dire ce que l’on sent, soupçonne, imagine mais que l’on ne sait pas ? Qu’est-ce que savoir ? Comment percevoir ce qui sourd ? La trame invisible des choses. Comment (se) saisir de ce qui se fait au moment où « ça » se fait ? Retenir ce qui nous traverse ? 

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Un sifflement se fit entendre. Le train venait d’entrer en gare dans un nuage épais de fumées blanches. Un bruit de ferraille semblable à des crissements avait signalé l’arrêt de la machine qui s’était immobilisée en soufflant, lasse d’une trajectoire qu’elle n’avait pas choisie. L’employé des chemins de fer, dans sa tunique régimentaire, s’affairait à l’ouverture des portières mâchées par la rouille.

Un sifflement se fit entendre. Le train venait d’entrer en gare dans un nuage épais de fumées blanches. Un bruit de ferraille semblable à des crissements avait signalé l’arrêt de la machine qui s’était immobilisée en soufflant, lasse d’une trajectoire qu’elle n’avait pas choisie. L’employé des chemins de fer, dans sa tunique régimentaire, s’affairait à l’ouverture des portières mâchées par la rouille.

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La force d’un écrivain réside dans sa faculté à perdre le lecteur tout en le tenant en haleine pour enfin l’abandonner, seul, au milieu de rien, dans un désert de sens qui pourtant soulève des montagnes de questions 

Je crois aux phrases qu’aucun point n’arrête, je crois que le point final est une illusion, je crois à l’in/fini 

Sinon quoi ?

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La main heureuse

Richard Serra, Hand Catching Lead, 1968. Extrait du film 16 mm, noir et blanc, silencieux, d’une durée de trois minutes, présenté dans l’exposition Le supermarché des images sous la direction de Peter Szendy,  musée du Jeu de Paume, paris 2020

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Je lis peu au hasard, souvent par association, un livre en appelant un autre. Mais j’aime aussi les vagabondages de la main heureuse dans les rayons de la bibliothèque. 

Je lis pour me frayer un chemin vers des mondes qui me sont étrangers. 

Lire pour s’abstraire, se délier, se soustraire à la frénésie des multitudes, choisir la corde du sensible plutôt que celle du pendu, refuser l’assignation et vivre au pied de la lettre. 

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d’où vient ce besoin, écrire, que tant, dit-on, éprouvent, irrépressible, comme venu de l’intérieur, quant à d’autres il demeure étranger ? 

Dans Formation, Pierre Guyotat raconte qu’enfant, il éprouve une impossibilité de lancer (s)es phrases, celles particulièrement qui débutent par des consonnes dures, il explique qu’il doit les mâchonner s’il veut parvenir à les prononcer et que ce n’est donc pas tant le bégaiement en soi qui l’empêche mais le fait de devoir commencer la phrase à l’extérieur de lui, « la faire surgir de mon discours intérieur permanent vers l’extérieur » 

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mais il y a autre chose 

la scène a lieu dans le jardin de la tante Jeanne, l’enfant joue près d’un bassin, pose sa main sur le mur pour attraper un lézard puis, bouche bée devant le spectacle d’une pie tenant en son bec un bracelet, avale un insecte volant, lequel, raconte Pierre Guyotat, « a touché ma salive et s’y englue ; je crache, en vain, l’insecte a passé le palais ; je cours m’étendre dans de l’herbe sous un prunier, pour y attendre la mort, respirant et avalant beaucoup » et puis l’angoisse, « l’insecte s’est-il noyé, étranglé ou asphyxié ? peut-il encore piquer,  et dans quoi ? au mieux aurai-je la voix cassée… son venin peut-il m’endormir pour jamais ? », par chance il n’en est rien, entretemps « quelque chose bouge entre mes cuisses, le plaisir me fait oublier l’angoisse et la mort ».

peut-être l’écrire trouve-t-il ses sources (je ne crois pas, en hydrologie textuelle, à l’existence d’une source unique) dans la prononciation impossible d’une lettre, la gorge obstruée par un corps étranger, un frémissement entre les cuisses, un crachat,  une giclée 

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Un froid soudain s’est abattu. Les volets tremblent. On ne comptera bientôt plus les morts que pour la forme.

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Sources : Pierre Guyotat, Formation, Folio Gallimard. 

14-28 octobre 2020-19 février 2021