Le musée des Beaux-Arts de Carcassonne conserve une ravissante nature morte de Jean-Siméon Chardin intitulée La table d’office ou Les apprêts d’un déjeuner. Le tableau est daté de 1756. Il a été montré pour la première fois au Louvre lors du Salon de 1757. Le catalogue indique au numéro 33 « Deux tableaux, dont l’un représente les préparatifs de quelques mets sur une table de cuisine ; et l’autre une partie de dessert sur une table d’office » tous deux « tirés du Cabinet de l’Ecole Française de M. de la Live de July ».
Ange Laurent de la Live de July, marquis de Removille et baron du Châtelet. Banquier et diplomate, tour à tour receveur des finances et introducteur des ambassades. Nourrissant une passion pour l’art qui le poussa jusqu’à la pratique, il fut, en tant que peintre et graveur amateur, d’abord associé libre puis membre honoraire de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Bien qu’on ne sut jamais qu’il fût harpiste, Jean-Baptiste Greuze l’a représenté jouant de la harpe dans un portrait peint vers 1759 dont la présentation ne ravit pas Diderot qui, dans son Salon de 1759, trouva bien quelconque la peinture de Greuze : « Le faire en est raide, et la couleur fade et blanchâtre ».
Faut-il écrire July avec un seul L ou avec deux comme gravé sur son ex-libris ? Son généalogiste hésite qui nous apprend qu’Ange Laurent de la Live de July « perdit la tête » et « décéda sans la retrouver ».
« On est encore infiniment satisfait des tableaux du célèbre M. Chardin ; ce ne sont point les couleurs qu’on voit sur la palette des peintres ; ce sont des tons et des teintes vraies ; enfin c’est la nature elle même et toute l’harmonie qu’elle présente », loue Elie Fréron dans la lettre XV de son Année littéraire de 1757 dédiée à la description des œuvres exposées cette année-là au Salon du Louvre. Elie Fréron avait créé L’année littéraire – dont il fut l’unique rédacteur – le 3 février 1754. Il avait fait ses premières armes de critique auprès de l’abbé Desfontaines et ne se fit pas que des amis dans le monde des lettres, à commencer par Voltaire qui le prit pour cible dans sa pièce Le café ou l’Ecossaise écrite, dit-on, en huit jours et couronnée d’un succès prodigieux dès sa première représentation, le 26 juillet 1760 au Théâtre de la rue des Fossés à Saint-Germain. Dans sa première édition, en mai 1760, la pièce est présentée comme la traduction d’une œuvre de David Hume. Fréron y apparaît sous les traits du journaliste Frelon « écrivain de feuilles et fripon ». Mais au moment de la représentation, le nom du personnage est changé en Wasp qui, en anglais, désigne une guêpe ou un frelon.

Chardin, La table d’office (1756)
Musée des Beaux-arts de Carcassonne
Du tableau de Chardin conservé au musée de Carcassonne, il existe une réplique, exécutée probablement en 1763 et présentée aujourd’hui dans les collections du Louvre. Elle s’intitule aussi La table d’office. Mais cette fois, son second titre change pour Les débris d’un déjeuner. On lui connaît en outre un ancien titre, plus descriptif : Partie de dessert avec pâté, fruits, pot à oille et huilier.
L’oille était une sorte de ragoût ou potage composé de divers légumes et viandes très assaisonnés. Madame de Sévigné en parle dans une lettre à sa fille du 2 novembre 1673 : « J’avais le pot-au-feu, c’était une oille et un consommé qui cuisaient séparément ». Dans cette lettre écrite de Paris où elle est de retour « après quatre semaines de voyage », Madame de Sévigné raconte à Madame de Grignan qu’elle a soupé en compagnie, entre autres, de Madame de La Fayette, Monsieur de la Rochefoucauld, Madame Scarron puis qu’à « neuf heures », la Garde, l’abbé de Grignan, Brancas, d’Hacqueville (qui étaient du souper) « sont entrés dans ma chambre pour ce qui s’appelle raisonner pantoufle ».
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Sources – Pour le tableau de Chardin : Explication des peintures, sculptures et gravures de Messieurs de l’Académie Royale (…) pour l’année 1757 (BNF-Gallica) ; L’année littéraire 1757 d’Elie-Catherine Fréron (BNF-Gallica) ; site du musée du Louvre. Pour oille : Le Grand Robert de la langue française ; Lettres de Mme de Sévigné (Bibliothèque de la Pléiade). Pour Elie Fréron : notice Wikipedia. Pour Ange Laurent de la Live de July : notice Wikipédia et site Geneanet.org.
20 novembre 2022