Le projet

journal d’un work in progress

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« Voir une image. Tenter de l’écrire (cette image, ce voir de l’image). Il y va de mon corps entier ».

Georges Didi-Huberman

La version de 2023

A l’automne 2022, ce blog a fait l’objet d’une refonte totale avec :

  • une nouvelle sélection de textes
  • la suppression de tout classement des textes publiés en catégories

Il s’agissait alors de penser l’acte d’écrire comme un tout. Mais c’était de manière abrupte et arbitraire nier la pluralité des modes d’écriture qui se déploie ici, au point qu’il est plus près de la réalité de parler d’écritures (sans la majuscule, évidemment) que d’écriture.

Début 2023, à la faveur d’un changement d’environnement esthétique, les catégories ont été réintroduites, avec – cela s’entend – les limites inhérentes à toute classification. Il n’est donc pas dit que cette classification ne soit pas revue un prochain jour, même si la volonté est désormais de tenter de s’en tenir au plan arrêté que voici :

  • Anthologie : un choix brièvement commenté de textes poétiques
  • Ephéméride : sorte de journal-images où photos et textes s’interrogent mutuellement, avec toujours l’image comme point de départ
  • Phragmes : compositions de fragments sous forme de collages avec illustration (photographie ou dessin ou document visuel)
  • Note-Book : un recueil de notes de lectures

Lors de sa reconfiguration esthétique, et pour marquer ce nouveau départ, le blog a changé de titre. Il s’intitule désormais : Un promeneur dans le vent. Il trouve son origine dans le roman de Monica Sabolo, La vie clandestine (Gallimard) dont voici un court extrait : « On ne peut pas tout expliquer, non, mais face au désespoir, demeure la possibilité d’une échappée, une vie clandestine, née d’un court-circuit. Je me demande si Nathalie Ménigon ne fonctionne pas ainsi depuis toujours, avec ce don d’effacer ce qui la bouleverse, de « se promener dans le vent », ainsi qu’elle le formule, en agitant la main dans les airs : « Ce n’était pas si mal, de traverser les jours sans mémoire, ni conscience. C’est peut-être cela qui me touche, chez Nathalie Ménigon : le désir de l’échappée ».

Ramené à un point de vue strictement littéraire et poétique, « se promener dans le vent », c’est aller de lieu en lieu, de livre en livre ; mot à mot, note après note, lire, explorer, parcourir le monde, dans le frottement des jours (et des nuits), se laisser heurter, traverser ; mû par un « désir de l’échappée » comme geste de survie.

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Pour servir d’horizon (2021)

Au moment où il se lance dans l’écriture du livre dont il dit qu’il l’occupe « tout le temps depuis plusieurs années », Denis Roche a arrêté « deux décisions définitives ». Il en connaît le titre : Essais de littérature arrêtée. Et il sait « ce que doit être » ce livre, à savoir qu’il doit « absorber tout ce que je fais, que je vis, que je vois ».

Ce dont il s’agit ici serait de cet ordre – saisir l’instant du monde tel qu’il nous traverse, comme le vent passe.

Passage du vent est la version numérique d’un projet d’écriture fondé sur l’expérimentation de procédés scripturaires en vue de cette captation. Un projet qui « absorbe tout ce que je fais, que je vis, que je vois ».

La pratique d’écriture relève ici de fonctions très anciennes telles que scripteur, imagier, scribe, tabellion, copiste qui sont les ancêtres illustres de l’écrivain dans le sens que lui attribue Paul Valéry : « praticien du langage écrit » dépouillé « du lustre que lui conserve la tradition ».

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Pour tenir lieu de préface (Ecrire : solitude, version d’octobre 2021)

En février 1983, dans le numéro 5 de la revue Corps écrit, Michel Foucault publie un texte intitulé L’écriture de soi dans lequel, ceci : « Il faut lire, disait Sénèque, mais écrire aussi. Et Epictète, qui pourtant n’a donné qu’un enseignement oral, insiste à plusieurs reprises sur le rôle de l’écriture comme exercice personnel : on doit méditer (meletan), écrire (graphein), s’entraîner (gumnazein) ; « puisse la mort me saisir en train de penser, d’écrire, de dire cela ». Ou encore : « Garde ces pensées nuit et jour à la disposition ; mets-les par écrit, fais-en la lecture ; qu’elles soient l’objet de ta conversation avec toi-même, avec un autre… » 

« Il faut lire, mais écrire aussi ». Conserver. Converser. 

Dans un texte du 28 octobre 2012 où il interroge le lien entre écriture et solitude, Georges Didi-Huberman tient à son tour que : « (…) écrire, c’est avoir lu. C’est avoir pris des notes, ou s’être souvenu de mots, de phrases, de tournures, de styles venus d’ailleurs. Dans chaque morceau de littérature s’agite toute la littérature remémorée ». 

Il ne trouve pas à son goût les écrivains qui, ne citant jamais ceux qu’ils ont lu, ramènent tout à leur personne. « Ecrire : solitude. Mais ce n’est pas une raison pour se conduire ou se construire en roi, en propriétaire, en centre absolu de son écriture ». Tel Malraux « qui écrit souvent pour nous signifier qu’il en sait long, ne cite jamais ceux qu’il a lus, dont il a tiré les leçons », contrairement à Joyce, Bataille, Genet dont les textes invitent à « sortir du personnage (…), à sortir de l’auteur (…), à sortir du livre enfin… ». 

La propriété, c’est le vol !

Fabrique de la littérature : les venus d’ailleurs – courants d’air et de temps, flux d’images, de textes – traversent le lecteur qui, devenu scripteur, transmet à qui épandra à son tour et ainsi selon une suite sans fin. Mots, phrases, tournures, styles, images, tous ces venus d’ailleurs constituent la matière de la conversation littéraire avec soi-même, avec un autre. 

Littérature du donné et de l’épandu.

Dans le même texte, Michel Foucault parle des hupomnêmata, « livres de comptes, registres publics, carnets individuels servant d’aide-mémoire ». « On y consignait des citations, des fragments d’ouvrages, des exemples et des actions dont on avait été témoin ou dont on avait lu le récit, des réflexions ou des raisonnements qu’on avait entendus ou qui étaient venus à l’esprit. Ils constituaient une mémoire matérielle des choses lues, entendues ou pensées ; ils les offraient ainsi comme un trésor accumulé à la relecture et à la méditation ultérieures ». 

A la conversation aussi, les carnets de notes constituant tout à la fois  « des exercices d’écritures personnelle » et pouvant servir « de matière première à des exercices qu’on envoie aux autres ». 

Ecrire, donc, pour conserver & converser. Faire mémoire matérielle de choses lues, citations, fragments, exemples, actions. Ecrire pour alimenter la conversation littéraire. Nourrir l’ailleurs. Et pour ce faire, se déprendre du « je-roi », s’arracher à l’ego. Et célébrer, dans un même mouvement, la mort de l’auteur et la naissance d’un lecteur-scripteur en quête d’une voie libre vers le-livre-autrement. 

Sources : Michel Foucault, L’écriture de soi, Ecrits, Quarto Gallimard. Georges Didi-Huberman, Pour que tout revienne à tout le monde in Aperçues, éditions de Minuit.

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Tableau d’une exposition II (plan du site dans sa version d’octobre 2021)

Les publications sont toujours réparties en trois catégories :

1 – Phragmes : compositions à base de venus d’ailleurs. Traces d’une langue errante, incertaine.

2 – Essais : textes/notes ayant trait à l’étude d’un thème particulier.

3 – Poèmes : comme son nom l’indique…

Tableau d’une exposition I (plan du site dans sa version d’octobre 2020)

Les publications sont réparties en catégories :  

1 – Fragments. Une tentative d’autobiographie de l’instant au moyen des ressources expérimentales de l’écriture du fragment. Un champ libre d’écriture.

2 – Mélanges. Un carnet aide-mémoire rassemblant des notes de lectures et d’études selon la fonction décrite par Michel Foucault dans L’écriture de soi sous le nom de Hupomnêmata.

3 – Images. La catégorie accueille deux collections 1) Polaroids Collection d’images fabriquées à l’aide d’un appareil photographique à développement instantané de marque Polaroid, inventé en 1947 par Edwin Herbert Land et commercialisé pour la première fois en 1948. Les modèles ici utilisés sont le OneStep 2 et le Polaroid Now. 2) Esquisses Collection de signes, graffitis, motifs exécutés au pastel et/ou au fusain

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Echappant à toute visée programmatique ou prédictive, le projet est à tout moment susceptible de muter, s’invalider ou s’autodétruire. Les modes qui lui donnent forme rassemblent les éléments constitutifs d’un récit de soi fragmenté, d’un dire sans fin, inachevable.

Repères bibliographiques
L’écriture de soi de Michel Foucault. Le Degré zéro de l’écriture de Roland Barthes. Poésie: de Jacques Roubaud. Aperçues de Georges Didi-Huberman. Notes en vue du Livre de Stéphane Mallarmé. Le peintre de la vie moderneSalon de 1859 et Le spleen de Paris de Charles Baudelaire. Temps profond, essai de littérature arrêtée de Denis Roche.

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notes

/ 1 Un zibaldone

Une chronique continue des choses vues du monde tel qu’il s’offre à mon regard ; sorte de zibaldone dont le site internet a vocation d’offrir un aperçu sélectif / un livre qui « absorde tout ce que je fais, que je vis, que je vois » (Denis Roche) organisé selon les modalités du site internet / une appréhension inlassable du monde, par tous moyens : images, mots, sons… (Saisie de / recherche de) ce qui fait lien, ce que lie l’acte d’écrire. Lie à soi, à l’Autre, aux autres, au monde. 

Le site n’est que la partie visible du travail. En réalité : tout s’écrit au-dedans. Un « tout » (ramené aux justes proportions de ce qu’il est) constitutif du Livre dont Phrag/mes est un aperçu.

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/ 2 Hupomnêmata

« … au sens technique, pouvaient être des livres de compte, des registres publics, des carnets individuels servant d’aide-mémoire » comme sur l’étagère supérieure, suite en cours (work in progress) d’une accumulation de cahiers rassemblant esquisses, notes, plans, études, 

« … on y consignait des citations, des fragments d’ouvrages, des exemples et des actions dont on avait été témoin ou dont on avait lu le récit, des réflexions ou des raisonnements qu’on avait entendus ou qui étaient venus à l’esprit… » en vue d’un livre, jamais encore écrit à ce jour, un livre à venir, un livre en tant qu’au-delà des livres faits et rassemblés sur l’étagère inférieure comme la preuve (rassurante) que quelque chose malgré tout avance, se (re)présente et fera l’affaire à défaut de mieux dans le cas où

en attendant, « … leur usage comme livre de vie… »

Source : Michel Foucault, L’écriture de soi, Dits et Ecrits II, Quarto Gallimard.