Notes sur André Breton

I – Séquences prélevées à la source

« Le sort de l’art et de la pensée reste lié à celui de l’individu. Il importe de comprendre que la cause de l’art se confond désormais avec celle de la liberté humaine et que toute atteinte apportée à la liberté de l’esprit, l’est en même temps à la liberté de l’homme. »

« La poésie (…) est message d’espoir et de révolte. Même désespérée, (elle) n’accepte pas le désespoir ; elle dépasse la souffrance en la transformant en source de révolte ; elle vise à retourner la malédiction contre le Dieu qui l’a proférée. »

« Cette pensée n’a cessé de se découvrir elle-même et de s’approfondir (…). A travers l’œuvre de ses antécédents directs – Baudelaire, Nerval, Rimbaud, Lautréamont – elle tend (…) à préciser sa filiation avec un courant spirituel infiniment vaste : la tradition ésotérique. »

« Dans l’ésotérisme, nous voyons, sous des formes souvent très disparates, la manifestation d’un esprit d’opposition constant aux normes traditionnelles de la raison, de la connaissance, de la religion. »

« Le surréalisme a choisi. En proclamant la nécessité de promouvoir un mythe nouveau, Breton et ses amis lui ont fait franchir l’obstacle qui sépare encore toute tentative révolutionnaire de son véritable objet, de son devenir. Ils ont engagé la meilleure part de la conscience moderne dans la seule voie radicalement moderne qui s’offrait (…) La transformation du monde sera liée à la transformation de l’image que l’homme se fait de ce monde. Elle rétablira les contacts primordiaux de l’homme et de l’univers, dont la rupture est l’une des causes de l’hébétude de notre existence. »

André Breton, par Jean-Louis Bédouin
Seghers, Poètes d’aujourd’hui

« La science véritable, celle qui échappe aux scientistes comme aux techniciens, s’engage aujourd’hui dans la voie de spéculations intellectuelles qui débordent singulièrement les cadres auxquels est encore assujettie la démarche expérimentale et doivent lui faire rejoindre tôt ou tard un ordre de préoccupations qui passaient et passent encore pour étrangères aux siennes : la connaissance analogique, produit de la faculté poétique de l’esprit. »

« L’esprit ne dispose que d’un seul moyen pour combiner les divers éléments de la perception – en dehors de la relation logique qu’il y introduit : c’est l’analogie. »

André Breton écrit dans Signe ascendant, texte paru en 1948 dans le premier numéro de la revue Néon :

« L’analogie poétique a ceci de commun avec l’analogie mystique qu’elle transgresse les lois de la déduction pour faire appréhender à l’esprit l’interdépendance de deux objets de pensée situés sur des plans différents, entre lesquels le fonctionnement logique de l’esprit n’est apte à jeter aucun pont et s’oppose a priori à ce que toute espèce de pont soit jeté. L’analogie poétique diffère foncièrement de l’analogie mystique en ce qu’elle ne présuppose nullement, à travers la trame du monde visible, un univers invisible qui tend à se manifester (…). Elle (l’analogie poétique) tend à faire entrevoir et valoir la vraie vie absente et, pas plus qu’elle ne puise dans la rêverie métaphysique sa substance, elle ne songe un instant à faire tourner ses conquêtes à la gloire d’un quelconque au-delà. »

-o-

André Breton : « Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. »

Raymond Lulle : « La signification est la révélation des secrets qui sont montrés avec le signe. »

II – L’étrange sort

Naître d’une parole. Un bras, un poing levé, une main tendue. Sous un coffre, une libellule à barbe bleue. En voyage, plus de fer sous les pieds.

-o-

La pensée a fui. Nous entendons au loin un cri de révolte, une sommation et derrière la volonté de dire, la volonté plus forte du refus.

Ourdir le non-poème : dis que tu ne dis rien.

-o-

Cette écriture-là voulut se donner un sens mais le perdit dans le marais des algues vertes. La messagère a disparu, comme la parole, ses sabots emportés par les flots et l’ombre derrière le ballet des incertitudes.

-o-

Voir le monde autrement. Ce fut un rêve. Le surréalisme l’a vivifié.

Changer le regard. Il existe non loin d’ici – mais que sait-on des distances ? – une abbaye où un sculpteur qui vécut au Moyen Age a représenté le martyre d’un saint traîné par un attelage de taureaux furieux dans les rues de la ville où il prêchait. L’imagier a montré l’hébétude des hommes contemplant la souffrance. Sur une rive lointaine, un soleil noir s’est levé qui laisse l’homme dans l’ignorance où il est de lui-même. 

Passer de toute urgence dans l’outre-voir. Conviés à rechercher partout et en tout lieu la « manifestation d’un esprit d’opposition constant aux normes traditionnelles de la raison, de la connaissance, de la religion. »

III – Forces contraires

Entreprendre un état des lieux du monde par l’image, poème ou photographie. Pour ce faire, vider l’esprit du sens commun qui l’habite. Une révolution du regard.

-o-

Métissage (tentative d’abstraction).

-o-

A Rome, on fleurissait la mort en jetant des pétales sur les gladiateurs avant le combat.

-o-

Tout geste précède l’ombre qui l’accomplit.

-o-

16 mars-10 septembre 2023

Source : André Breton, par Jean-Louis Bédouin, Seghers Poètes d’aujourd’hui.