1er-15avril 2023 / Petits métiers, rails & allumettes

« Le quai des luttes » – Préfecture des P.-O. – Quai Sadi-Carnot – Perpignan – 14 avril, 18 h 01.

(Avant dire)

Il n’y a de sots ni de petits métiers. Uniquement des femmes, des hommes qui travaillent et aspireraient à travailler mieux et moins mais le droit au bonheur leur est brutalement refusé. Le peuple proteste. Il veut décider de son avenir. On lui retire la parole. Qu’est-ce qui a déraillé dans notre République que les syndicats tentent de réparer en posant leurs revendications sur les voies de la colère et de l’espoir ?

Pendant ce temps, la réserve d’eau s’épuise. Inexorablement. Dans les rues de la ville, les visages cachés de l’obscur font pénitence. De quelles fautes veulent-ils en silence laver leur conscience ?

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vendredi14avril

« Le quai des luttes » – Préfecture des P.-O. – Quai Sadi-Carnot – Perpignan – 18 h 14.

jeudi13avril

Manifestation contre la réforme des retraites – Boulevard des Pyrénées – Perpignan – 11 h 10.
L’imagination dans la rue – Boulevard Jean Bourrat – Perpignan – 12 h 22.

mercredi12avril

Ciel – Rue des Villas Amiel vue de la résidence – Perpignan – 14 h 38.

mardi11avril

Rue Benjamin Franklin – Perpignan – 14 h 29.
CGT – Avenue Joseph Rous – Perpignan – 14 h 31.
Le débit de la Têt – Perpignan – 15 h.

dimanche9avril

Petit métier – Port de Canet-en-Roussillon – 14 h 52.
Horizon – Canet-en-Roussillon – 15 h 14.

vendredi7avril

Les visages cachés de l’obscur – Procession de la Sanch – Rue de la Barre – Perpignan – 15 h 38.

jeudi6avril

Onzième mobilisation contre la réforme des retraites – Place Catalogne – Perpignan – 10 h 49.
Les communistes ferment le cortège – Cours Lazare Escarguel – Perpignan – 11 h 18.

mercredi5avril

Rue Pierre Lefranc – Perpignan – 17 h 50.
Palmier – Rue Pierre Lefranc – Perpignan – 17 h 50.

mardi4avril

Rue Rempart Villeneuve – Perpignan – 16 h 01.
La République sous haute protection – Quai Sadi Carnot – Perpignan – 16 h 06.

lundi3avril

Ciel – Rue des Villas Amiel vue de la résidence – Perpignan – 19 h 57.

dimanche2avril

Ciel – Rue des Villas Amiel vue de la résidence – Perpignan – 19 h 51.

samedi1avril

Ciel – Rue des Villas Amiel vue de la résidence – Perpignan – 20 h 03.

Autrement dire

« La Kolyma n’est pas seulement une région, une planète, un trou noir. C’est aussi un texte, lieu de métamorphose du réel en langage », écrit Luba Jurgenson dans sa préface aux Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov. 

La question que se pose Chalamov au moment où il entreprend la longue suite de textes qui composent les Récits de la Kolyma est celle de la langue. Dans quelle langue raconter l’expérience des camps ? 

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Le camp – l’univers concentrationnaire en tant qu’entreprise de déshumanisation et d’extermination – pose la question de la langue. Quelle langue pour dire ? Mais aussi quelle langue pour résister à la langue qui révise (la langue de ceux pour qui les camps n’auraient pas existé ou seraient une affabulation). 

Face à cette langue de la révision, opposer une langue du réel. Toute la difficulté réside dans l’impossibilité de dire le réel du camp. Il y a un moment où la langue bute. 

Chez Chalamov, il y a l’idée que la langue ne peut pas dire ce réel-là. Que celui qui veut dire se heurte à une impossibilité et doit faire avec cette impossibilité. Comment ? C’est la question : comment dire ?

« Comment trace-t-on une route à travers la neige vierge ? Un homme marche en tête, suant et jurant, il déplace ses jambes à grand peine, s’enlise constamment dans une neige friable, profonde. Il s’en va loin devant : des trous noirs irréguliers jalonnent sa route. Fatigué, il s’allonge sur la neige, allume une cigarette et la fumée du gros gris s’étale en un petit nuage bleu (…) Tous ceux qui suivent sa trace, jusqu’au plus petit, au plus faible, doivent marcher sur un coin de neige vierge et non dans les traces d’autrui. Quant aux tracteurs et aux chevaux, ils ne sont pas pour les écrivains mais pour les lecteurs ».

« Si je privilégiais la vérité, ma langue serait pauvre, indigente », redoute Chalamov pour qui le récit est « condamné à être faux ». Pour qui, encore, « l’enrichissement de la langue, c’est l’appauvrissement de l’aspect factuel, véridique du récit ». 

La voie qui permet de surmonter cette impossibilité existe pourtant. C’est celle du témoignage, choisie par Jacques Lanzmann pour Shoah.

Luba Jurgenson distingue « deux strates essentielles » du témoignage :
1) le réel (sombre, lacunaire et par nature inaccessible). Il n’est saisissable que par fragments et à partir de mots-objets (avec lesquels on ne décrit pas la Kolyma mais on vit la Kolyma). Ces mots sont des prélèvements de réel. Mots-objets ou mots ustensiles. 
2) la saisie métaphorique ou photographique se heurte au risque de l’inauthentique.

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Pour Luba Jurgenson les Récits de la Kolyma renouvellent le genre « documentaire » déjà très répandu dans la littérature russe. 

Les récits de Chalamov ont ceci de saisissant qu’ils « intègrent à la notion d’événement celle de l’impossibilité de les dire ». C’est un apport essentiel car s’il est admis qu’il n’est pas possible de dire, il demeure tout de même possible de dire cette impossibilité. 

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Tout l’enjeu de l’écriture consiste donc d’aller, à partir du mot-objet, vers le mot-signe. De tirer en quelque sorte le mot-objet vers le mot-signe en tant qu’il donne sens à ce qui est dit. Il s’agit de partir de la langue de l’expérience (le témoignage) pour aller vers celle de l’écriture (langue littéraire). 

Les Récits de la Kolyma peuvent être lus comme une tentative de refondation de la littérature à partir de la réalité des camps.

L’impossibilité a été surmontée par le fait que la langue, en la disant, est parvenue à s’approprier cette impossibilité, à en faire son objet. 

Une langue qui tente, par tous les moyens, de se saisir de l’impossibilité de dire, de faire de cette impossibilité son objet, est une langue poétique. Car c’est l’objet de la poésie de dire cet indicible qui, par nature, échappe à tout langage.

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Source : Varlam Chalamov, Récits de la Kolyma, préface et traduction de Luba Jurgenson (éditions Verdier). En 2022, sont parus simultanément chez Verdier Souvenirs de la Kolyma de Varlam Chalamov (traduction Anne-Marie Tatsis-Botton) et Le semeur d’yeux (sentiers de Varlam Chalamov) de Luba Jurgenson.

3 février 2018-11 janvier 202121 avril 2022

16-31mars2023 / 64, sable & printemps

Angle de la place Gabriel Péri et du quai Vauban – Perpignan – lundi 27 mars, 13 h 34.

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mercredi29mars

Rue Rempart Villeneuve, Perpignan – 10 h 27.

mardi28mars

Dixième mobilisation contre la réforme des retraites – Boulevard Poincaré – Perpignan – 10 h 48.
Dixième mobilisation contre la réforme des retraites – Boulevard Wilson – Perpignan – 11 h 37.
Dixième mobilisation contre la réforme des retraites – Boulevard Wilson – Perpignan – 11 h 38.

lundi27mars

Place Arago – Perpignan – 13 h 35.
15 quai Vauban – Perpignan – 13 h 36.

dimanche26mars

Printemps – rue Benjamin Franklin, Perpignan – 9 h 04.

samedi25mars

Congrès de la Fédération du PCF66 – Salle Arago, Estagel – 12 h.

jeudi23mars

Manifestation contre la réforme des retraites – Place Catalogne, Perpignan – 11 h 01.
Manifestation contre la réforme des retraites – Boulevard Jean Bourrat, Perpignan – 11 h 38.

mardi21mars

Rue Petite la Réal, Perpignan – 17 h 15.
Place Joseph Després, Perpignan – 17 h 18.

dimanche19mars

Rue des Augustins, Perpignan – 9 h 45.
Marché Cassanyes, Perpignan – 10 h 06.
Pont de Guerre, Perpignan – 10 h 31.

vendredi17mars

Gérard Bonet, historien, en conférence à l’Université populaire du Travailleur Catalan – Maison des Communistes, Perpignan – 19 h 23.

jeudi16mars

Manifestation spontanée de protestation contre le 49:3 – Quai Sadi Carnot, Perpignan – 18 h 06.
Manifestation spontanée de protestation contre le 49:3 – Quai Sadi Carnot, Perpignan – 19 h 00.

Cote 146 (poèmes épistolaires)

Le 27 septembre 1914, Guillaume Apollinaire rencontre Louise de Coligny-Châtillon qu’il nommera Lou dans ses poèmes. Le 5 décembre, il est incorporé au 38e régiment d’Artillerie de Nîmes. Le 7 décembre, lors d’une visite qu’elle lui rend à Nîmes, Louise devient la maîtresse du poète. Le 15 décembre, revenue à Nice, Lou prend ses distances avec Apollinaire. Le 31 décembre, Apollinaire part en permission à Nice pour passer le Nouvel an avec Lou. Le 2 janvier 1915, dans le train qui le ramène à Nîmes, il rencontre Madeleine Pagès. Le 28 mars, Apollinaire et Lou se voient pour la dernière fois à Marseille. Sitôt rentré dans sa caserne, Apollinaire demande à être envoyé au front le plus vite possible. C’était le genre de faveur que l’on vous accordait sans ciller. Le 4 avril, le poète rejoint en Champagne la 45ème batterie de son régiment. A partir du mois de septembre, il participe à la bataille de Champagne. 

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Tout va très vite en temps de mort.

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Pendant cette période, Guillaume Apollinaire fait comme beaucoup de soldats quand ils bénéficient d’un répit : il écrit. Lui n’a pas de famille ni de fiancée officielle à qui raconter son quotidien. Il écrit donc des lettres d’amour aux femmes dont il est épris. A Lou, qu’il ne se résout pas à perdre et qui demeure présente dans son souvenir autant que dans son cœur. A Madeleine, repartie à Oran où elle enseigne au lycée de jeunes filles et qu’il ne désespère pas de séduire après leur coup de foudre ferroviaire.

Deux poèmes pareillement titrés – Cote 146 – sont adressés à Lou et Madeleine. Les deux sont des poèmes épistolaires. Chacun à sa manière parle d’amour.

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Le poème à Madeleine raconte des faits militaires, décrit l’environnement du champ de bataille, fournit des renseignements topographiques. Apollinaire entraîne Madeleine dans une toponymie de la guerre. Le village de Perthes-les-Hurlus, à l’épicentre de la bataille, a été rasé par les bombardements. Ses habitants l’ont déserté dès les premiers jours de septembre 1914. Il n’a jamais été reconstruit. Il a été rayé de la carte en 1950.  La ferme de Beauséjour dont il est question dans le poème est l’un des sites où se sont concentrés les combats. La cote désigne une courbe de niveau sur une carte d’état-major. Il arrive qu’elle épouse une ligne de front.

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Dans leurs correspondances, les Poilus désignent les balles sous d’autres noms pour tromper la censure qui ne tolérait pas que l’on évoquât les réalités saumâtres du front. Les mouches sifflent aux oreilles des hommes. Dans ses textes – tous écrits postérieurement au conflit – Joë Bousquet parle d’abeilles sifflantes.  

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Le poème à Lou est une transfiguration. La guerre y apparaît en arrière-plan. Elle est le décor dans lequel s’exprime la nostalgie de l’amour qui s’éloigne (« le lointain et puissant projecteur de mon amour…»). Apollinaire n’a pas renoncé à Louise. Il possède un portrait d’elle que ses camarades convoitent par-dessus son épaule. Le poète vit dans une solitude spleenétique (Apollinaire écrit « splénétique »). L’amour le protège des horreurs qui l’assaillent. Pour combien de temps ?

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Si les deux poèmes traitent différemment de la guerre et de l’amour, certaines similitudes dans leur composition les rapprochent. A commencer par leur titre indiquant qu’ils ont été vraisemblablement écrits dans la proximité du même lieu, la cote 146. Les femmes aimées y sont montrées en photo, comme il n’était pas rare que les soldats portent sur eux la photo de leur femme ou de leur fiancée. Enfin, dans chacun des textes, la guerre est musicale : « Ouïs pleurer l’obus… » dans le poème à Madeleine et « Entends jouer cette musique » dans le poème à Lou. Chez Apollinaire, la guerre est souvent décrite par les sons qu’elle émet (« grave voix de la batterie…»). 

Avec Apollinaire, la poésie ne passe rien sous silence. Elle est partout et tout est poésie. Elle absorbe le monde pour en extraire le merveilleux, fût-il dissimulé dans la boue des tranchées. 

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Carte Postale de Poilu
1916

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Cote 146 (Poèmes à Madeleine)

Plaines Désolation enfer des mouches Fusées le vert le blanc le rouge
Salves de 50 bombes dans les tranchées comme quand à quatre on fait claquer pour en faire sortir la poussière un grand tapis
Trous semblables à des cathédrales gothiques
Rumeur des mouches violentes
Lettres enfermées dans une boîte de cigares venue d’Oran
La corvée d’eau revient avec ses fûts
Et les blessés reviennent seuls par l’innombrable boyau aride
Embranchement du Decauville
Là-bas on joue à cache-cache
Nous jouons à colin-maillard
Beaux rêves
Madeleine ce qui n’est pas à l’amour est autant de perdu
Vos photos sur mon cœur 
Et les mouches métalliques petits astres d’abord
A cheval à cheval à cheval à cheval 
O plaine partout des trous où végètent des hommes
O plaine où vont les boyaux comme les traces sur le bout des doigts aux monumentales pierres de Gavrinis
Madeleine votre nom comme une rose incertaine 
rose des vents ou du rosier
Les conducteurs s’en vont à l’abreuvoir à 7 km d’ici
Perthes Hurlus Beauséjour noms pâles et toi Ville sur Tourbe
Cimetières de soldats croix où le képi pleure
L’ombre est de chairs putréfiées les arbres si rares sont des morts restés debout
Ouïs pleurer l’obus qui passe sur ta tête

Cote 146 (Poèmes à Lou)

Plus de fleurs mais d’étranges signes
Gesticulant dans les nuits bleues
Dans une adoration suprême mon beau petit Lou que tout mon être pareil aux nuages bas de juillet s’incline devant ton souvenir
Il est là comme une tête de plâtre blanche éperdument auprès d’un anneau d’or
Dans le fond s’éloignent les vœux qui se retournent quelquefois
Entends jouer cette musique toujours pareille tout le jour
Ma solitude splénétique qu’éclaire seul le lointain
Et puissant projecteur de mon amour
J’entends la grave voix de la grosse artillerie boche
Devant moi dans la direction des boyaux
Il y a un cimetière où l’on a semé quarante-six mille soldats
Quelques semailles dont il faut sans peur attendre la moisson 
C’est devant ce site désolé s’il en fut
Que tandis que j’écris ma lettre appuyant mon papier sur une plaque de fibro ciment
Je regarde aussi un portrait en grand chapeau
Et quelques-uns de mes compagnons ont vu ton portrait
Et pensant bien que je te connaissais
Ils ont demandé
Qui donc est-elle
Et je n’ai pas su que leur répondre
Car je me suis aperçu brusquement
Qu’encore aujourd’hui je ne te connais pas bien
Et toi dans ta photo profonde comme la lumière tu souris toujours

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Source : Guillaume Apollinaire, Œuvres poétiques complètes, édition de Marcel Adéma et Michel Décaudin, Bibliothèque de la Pléiade (1956).