carnet de novembre (2)

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lundi17novembre | inscriptions

Art poétique :
« Inscris-le dans ton registre
parmi les bénéfices du jour :
le chemin sombre et incertain du vent
sur la rivière luisante ;
de la neige sur les branches jaunes du sycomore. » Charles Reznikoff.
(notes)
Inscriptions dans la ville.
Inscriptions dans les fleurs.
Inscriptions dans la boue des chemins un lendemain de pluie.
Inscriptions dans l’automne.
Inscriptions dans la roue du temps.
Inscriptions dans le désir.
Inscriptions dans le béton armé des pouponnières.
Inscriptions dans le sang.
Inscriptions dans les sables mouvants.
Inscriptions dans les meurtrières.
Inscriptions dans le marbre (les noms ne durent pas).
Inscriptions dans les interstices.
Inscriptions dans le vide.
Inscriptions partout, sur les murs, les drapeaux, les nuages, le ciel
– les blessures –
partout sur les toits où l’espoir chaque jour s’amenuise d’un réenchantement du monde.

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mardi18novembre | misères
De Mary Shelley (Frankenstein, chapitre IX) : « Quand le mensonge ressemble à ce point à la vérité, qui peut se targuer de connaître à coup sûr le bonheur ».
Je ne me plais guère qu’à lire des histoires, vivre au milieu des mots, à ne me douloir que de poèmes, moins pour récuser le présent qui de quelque manière me traverse que me déprendre des aléas et misères du temps.
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lundi24novembre | entre les gouttes
petite suite du Bassin (1)

Sommes arrivés en début d’après-midi à Andernos-les-Bains après quatre heures de route et déjeuner dans un restaurant sympathique de Marcheprime. Installation au gîte, courses au supermarché puis balade au crépuscule sur la plage du Betey. Respirer l’air si cher du Bassin où nous séjournerons quelques jours en espérant un temps clément. Pluie annoncée. Nous passerons entre les gouttes.


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mardi25novembre | « je suis un arbre »
petite suite du Bassin (2)

« Mais je suis un arbre foudroyé. L’éclair a pénétré mon âme ». Mary Shelley

Certes et Graveyron sont deux domaines situés sur les communes de Lanton et Audenge en bordure du Bassin d’Arcachon. Ils ont été endigués au milieu du XVIIIe siècle par Emery de Durfort-Civrac, marquis de Civrac et seigneur de Lamothe qui souhaitait se lancer dans l’exploitation du sel. En 1843, Ernest Valeton de Boissière hérite du domaine et le transforme en exploitation piscicole. Utopiste, adepte de Fourier et Saint-Simon, Ernest Valeton de Boissière gère ses affaires selon ses convictions sociales et politiques. Protestant anticlérical, il ouvre les premières écoles mixtes de la région.






Les 531 hectares constituent aujourd’hui une réserve naturelle gérée par le Conservatoire du littoral et le Département de la Gironde. Dans cet espace naturel préservé, la biodiversité est d’une grande richesse avec, recensées, 336 espèces végétales, 42 espèces de mammifères, 253 espèces d’oiseaux, 11 espèces de reptiles et amphibiens, 400 espèces d’insectes. Près de 20 kilomètres de sentiers sont ouverts au public. Ils se parcourent à pied. Seules les personnes travaillant sur les lieux (naturalistes, agents, observateurs…) sont habilitées à y circuler en véhicule, ainsi que les chasseurs de canards qui maintiennent ici une tradition de chasse aux migrateurs avec leurres et appelants vivants.

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mercredi26novembre | un mouvement perpétuel
petite suite du Bassin (3)

Aujourd’hui, la météo prévoit une belle journée. Une éclaircie dans la grisaille d’automne. Nous louons deux vélos au départ d’Arès en direction de la pointe du Cap Ferret. Nous avons acheté deux sandwiches à la boulangerie située sur la place de l’Eglise, au cœur du bourg animé le matin. Nous n’atteindrons pas la pointe mais mettrons pied à terre au village de l’Herbe. Face à nous, Arcachon. Sur la droite, la dune du Pilat.

Moment de temps suspendu. Silence et clapotis des vaguelettes. La mer est d’huile. Quelques bateaux filent sur l’eau. La marée est descendante. Les ostréiculteurs profitent du reflux pour rejoindre leurs parcs. Ils rentreront plus tard, leur journée de travail accomplie, avec la marée montante. La vie sur le Bassin est un mouvement perpétuel. La Lune ici est comme un soleil.
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« a second bow »
Bob Dylan a clôturé hier soir à Dublin sa tournée européenne d’automne. Depuis le second concert donné à Belfast le 20 novembre, il a ajouté à l’immuable playlist de la tournée un dernier titre composé soit par des musiciens amis soit puisé dans le vaste répertoire de la chanson traditionnelle américaine, sorte de rappel au terme duquel Dylan et ses musiciens reviennent sur scène pour saluer une seconde fois (a second bow comme disent les Américains).
A Belfast le 20 novembre, ce fut Going Down To Bangor de Van Morrisson.
A Killarney le 23 novembre, The Lakes of Pontchartrain, une ballade du répertoire traditionnel datée de 1836.
A Dublin le 25 novembre, A Rainy Night in Soho, en hommage à Shane MacGowan, le chanteur irlandais du groupe The Pogues mort à Dublin le 30 novembre 2023. J’y reviendrai.
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jeudi27novembre | l’infini des vents
petite suite du Bassin (4)

Il arrive que l’océan soit d’azur, et de flammes. Chaque fois que je marche le long de la plage du Grand Crohot, que je plonge mon regard dans cette immensité si noble et si redoutable lorsqu’elle s’entête à gronder, je pense au roman de Victor Hugo Les Travailleurs de la Mer, à la bataille de Gilliatt contre la pieuvre, à l’infini des vents déchaînés, aux tempêtes, grondements sourds, au mystère dont seule la littérature romantique protège le secret dans les tourments de son imaginaire.
Dans ses cahiers, à la date du 22 juillet 1865, Victor Hugo note :
« Vérifié le contenu du manuscrit des Travailleurs de la Mer. La copie (sans les deux chapitres : l’Archipel et la Mer et le Vent) a 143 feuillets doubles (286 pages), chaque page contient 2 200 lettres environ, les pages types de l’édition belge des Misérables contiennent 840 lettres. Les Travailleurs de la Mer feront trois volumes d’environ 21 feuilles chaque ».
Un monument de la littérature.




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vendredi28novembre | le mot de la fin

« Ce que disant, il bondit par le hublot de la cabine jusqu’au radeau de glace qui jouxtait le navire. Les vagues l’eurent bientôt emporté, et il se perdit, au loin, dans l’obscurité ». Mary Shelley
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dimanche30novembre | Sainte-Anne, 15 h 25.


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Sources :
- Mary Shelley, Frankenstein, traduction Alain Morvan, Bibliothèque de la Pléiade, 2014.
- Charles Reznikoff, Inscriptions, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Thierry Gillybœuf avec une postface d’Emmanuel Laugier. Editions Nous, 2018.
- Victor Hugo, Choses Vues, édition établie par Hubert Juin, Quarto Gallimard, 2002. Les Travailleurs de la Mer, édition d’Yves Gohin, Folio Gallimard, 1980.
