Phrag/mes

« Nous courons dans l’incendie du monde » – René Nelli


Minutie de Ravel

Maurice Ravel par Henri-Charles Manguin (1902)

Le tableau est montré dans l’exposition Ravel Bolero, Cité de la Musique, Paris.

On célèbre en cette année 2025 le cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Maurice Ravel, le 7 mars 1875 à Ciboure.

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« Il ne s’écoule pas un quart d’heure sans que quelque part dans le monde ne soit joué le Bolero de Ravel », apprend-on dans le film Bolero d’Anne Fontaine (2024).

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Le film qui ouvre l’exposition que la Cité de la musique consacre au Bolero de Ravel donne à voir une exécution de l’œuvre par les musiciens de l’orchestre de Paris disposés en cercle autour du percussionniste et sa caisse claire, une manière de figurer la place centrale qu’occupe dans la composition de la pièce cet instrument à qui est confié l’ostinato. Tout, ici, est affaire de rythme. Le Bolero est un ballet.

Cet ostinato qu’au fil de la partition d’autres instruments viennent soutenir, est l’axe autour duquel s’enroule et se déploie l’écriture dans un double mouvement de retour sur soi et d’expansion. Le Bolero est un univers. Le sentiment de puissance qu’exprime, mesure après mesure, le crescendo ne tient qu’à un fil. C’est le temps, dans la fragilité de l’instant, comme l’oiseau tremblant encore dans la main de l’homme qui l’a recueilli.

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un parfait mécanisme d’horlogerie

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Le Bolero est un modèle de précision. Un parfait mécanisme d’horlogerie que rien ne semble en mesure de perturber. C’est une pièce « vide de musique », écrit le compositeur sans regret. Tel en effet il l’a conçue : « une machine » dans une époque où le machinisme fascine les peintres et les cinéastes.

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On voit dans l’exposition le métronome de Maurice Ravel, un instrument qu’il tenait pour essentiel dans sa pratique de la musique. Ravel était intransigeant. Il veillait, témoignent ses contemporains, à ce que ses interprètes respectent à la lettre ses indications de jeu. Mais qu’en est-il du tempo du Bolero ?

C’est toute une histoire. Le manuscrit original de l’œuvre ne comporte aucune mention de tempo. Il faut donc s’en remettre à l’édition princeps de 1929 chez Durand qui indique un tempo de 76 à la noire. Sauf que, sur l’exemplaire conservé à la Bibliothèque nationale de France, la mention a été biffée au crayon et corrigée en 66. Ravel confirmera ce choix d’une certaine lenteur dans l’enregistrement de 1930 – par Ravel lui-même à la tête des Concerts Lamoureux – où il opte pour un 64 à la noire. La deuxième édition Durand de 1929 indique quant à elle un 72 qui, depuis, ne semble jamais avoir été contesté. Toutes les éditions suivantes s’en tiendront là. Il n’en demeure pas moins que le tempo du Bolero varie aujourd’hui sensiblement selon ses interprètes. Et Ravel n’est plus de ce monde pour chapitrer ses exécutants…

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« Une lettre d’exhortation à un ami pour le porter à chercher. Et il répondra : Mais à quoi me servira de chercher ? Rien ne paraît. Et lui répondre : Ne désespérez pas. Et il répondrait qu’il serait heureux de trouver quelque lumière, mais que selon cette religion même, quand il croirait ainsi, cela ne lui servirait de rien et qu’ainsi il aime autant ne point chercher. Et à cela lui répondre : La machine. »

Pensées de Pascal. Edition de Philippe Sellier (Classiques Garnier). Rangée sous le numéro 39 dans la section Ordre.

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Fernand Léger – Elément mécanique (1924) – Huile sur toile (146 x 97 cm)

Montrée dans l’exposition Ravel Bolero, l’œuvre est conservée dans les collections d’art moderne du Centre Georges Pompidou

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Simple le Bolero ? En apparence. Phrase entêtante. Facile à retenir ? A y regarder de plus près, complexe. Infiniment complexe. Une « machine à voir », dit l’historien Patrick Boucheron qui, à la faveur de l’exposition Ravel Bolero de la Cité de la musique, lui a consacré un numéro de sa formidable émission dominicale Allons-y voir sur France Culture.

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Minutie de Ravel. Elle ne s’exprime pas seulement dans la composition musicale mais aussi dans les moindres détails de sa vie quotidienne. On la remarque dans la décoration intérieure de sa maison, le Belvédère de Montfort-L’Amaury, la disposition de ses objets de collection, le soin maniaque qu’il porte à ses tenues vestimentaires. Tout, chez Ravel, est tiré à quatre épingles. Son dandysme serait-il l’expression de l’exigence extrême dont il accompagne chacun de ses gestes ?

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Bolero ou Boléro ? Avec ou sans accent ? Surfez sur la toile, les deux orthographes cohabitent, parfois dans le même article. Regardez du côté des pochettes de disques, même constat. Le nom est tantôt francisé (boléro), tantôt conservé dans sa graphie espagnole (bolero). Et Ravel lui-même, qu’en dit-il ? Ou plutôt, qu’en écrit-il ? Sur le manuscrit autographe de la partition, conservé à la Bibliothèque nationale de France, Bolero est écrit de la main de Ravel, au crayon, sur la première page. Sans accent. A l’espagnole. Il en va de même dans toutes ses correspondances connues de l’année 1928 où il évoque son œuvre.

Donc : Bolero.

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Ravel ne rature pas. Il compose mentalement sa musique avant de la coucher sur le papier. L’écriture est l’étape ultime du processus de création. La mise sous pli.

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Source : Exposition Ravel Boléro, Cité de la musique, Paris (31 décembre 2024-15 juin 2025).

(Montpellier, 3-4 mars-4 juin 2025)