Phrag/mes

« Ce que j'écris n'est pas écrire. C'est se préparer à écrire » – Paul Valéry


Continuum Bob Dylan (#3) | I been to gay Paris* (une nouvelle histoire du temps)

Bob Dylan à la Seine Musicale. 24 et 25 octobre 2024.

Avant-texte – J’ai assisté aux quatre des cinq derniers concerts de Bob Dylan à Paris, les 11 et 13 octobre 2022 au Grand Rex – où je l’avais déjà vu en avril 2019 – et les 24 et 25 octobre 2024 à la Seine Musicale. Bob Dylan est à nouveau parisien ces deux prochains soirs, les 30 et 31 octobre 2025. Il se produit au Palais des Congrès de la porte Maillot où il reprend la même setlist qu’il y a deux ans sur l’île Seguin de Boulogne-Billancourt, vu que cette tournée d’automne 2025 est ni plus ni moins la continuation du Rough and Rowdy Ways World Wide Tour débuté en 2021. Mais comme chacun sait, Bob Dylan ne joue jamais la même chanson à l’identique. Il (se) réinvente à chacune de ses interprétations. Toujours là. Toujours devant. Toujours. D’avril 2019 demeure gravée dans ma mémoire une version somptueuse de Don’t think twice it’s alright qui clôturait le set avec Bob au piano et à l’harmonica. C’est pour des moments aussi improbables et inattendus que celui-ci, comme des parenthèses ouvertes et aussitôt refermées dans la course infernale du temps mais qui demeurent gravées en nous, qu’il ne faut jamais rater un concert de Bob Dylan. C’est ce que je conseillerais chaudement à un tout jeune fan, parole de vieux sot recroquevillé dans un endroit perdu où il ignore même qu’il se trouve. Un Mister Jones, en quelque sorte.

Lors des deux dernières étapes parisiennes de Bob Dylan, j’ai spontanément rédigé des textes à chaud, à la sortie des concerts, et je les ai adressés à Bill Pagel qui les a gentiment publiés sur son site Bob Links, une référence absolue sur le net pour qui souhaite suivre Bob à la trace dans ses pérégrinations sans fin. Ce sont ces textes que je reproduis ici. Les versions françaises sont une re-traduction des versions anglaises publiées (merci mon traducteur IA) car j’ai égaré les originaux en français dans mon petit labyrinthe informatique.

Relisant ces notes aujourd’hui, je me dis que ce qu’est en train d’écrire Dylan depuis l’invention géniale du Never Ending Tour est une nouvelle histoire du temps, hors de celui qu’on nous inflige, plus près des étoiles et des trous noirs chers à Einstein et Hauking. Un temps à hauteur d’homme, à la fois déjà clos et sans fin.

I attended four of Bob Dylan’s last five concerts in Paris, on October 11 and 13, 2022, at the Grand Rex – where I had already seen him in April 2019 – and on October 24 and 25, 2024, at the Seine Musicale. Bob Dylan is Parisian again for the next two nights, October 30 and 31, 2025. He is performing at the Palais des Congrès at Porte Maillot, where he is playing the same setlist as he did two years ago on Île Seguin in Boulogne-Billancourt, since this fall 2025 tour is nothing more nor less than the continuation of the Rough and Rowdy Ways World Wide Tour that began in 2021. But as everyone knows, Bob Dylan never plays the same song identically. He (re)invents himself with each of his interpretations. Always there. Always ahead. Always. From April 2019, a sumptuous version of Don’t Think Twice, It’s Alright remains etched in my memory, closing the set with Bob on piano and harmonica. It is for moments as improbable and unexpected as this, like parentheses opened and immediately closed in the infernal race of time but which remain engraved in us, that you should never miss a Bob Dylan concert. That’s what I would advise a very young fan, from the words of an old fool huddled in a lost place where he doesn’t even know where he is. A Mister Jones, of sorts.

During Bob Dylan’s last two Parisian stops, I spontaneously wrote some texts on the spot, as I left the concerts, and I sent them to Bill Pagel who kindly published them on his Bob Links site, an absolute reference on the net for anyone wishing to follow Bob’s trail in his endless wanderings. These are the texts that I reproduce here. The French versions are a re-translation of the published English versions (thank you, my AI translator) because I misplaced the French originals in my little computer labyrinth.

Rereading these notes today, I tell myself that what Dylan has been writing since the brilliant invention of the Never Ending Tour is a new history of time, outside of the one we are inflicted with, closer to the stars and black holes so dear to Einstein and Hawking. A time at human level, both already closed and endless.

1 – La Seine Musicale, 24 octobre 2024

À la Seine Musicale, Bob Dylan regarde couler le fleuve du temps

La Seine Musicale est aujourd’hui un lieu dédié aux arts de la scène, mais cela n’a pas toujours été le cas. Construite sur le site de l’ancienne usine Renault à Boulogne-Billancourt, elle aurait convenu à Workingman’s Blues #2, qui repose dans les limbes des Temps Modernes.
Mais c’est une toute autre histoire que raconte Bob Dylan sur cette Grande Seine qu’il connaît bien puisqu’il l’a inaugurée lors d’une visite à Paris le 21 avril 2017, encore auréolé du prix Nobel de littérature qu’il avait reçu quelques mois plus tôt. Aujourd’hui, serpentant comme un fleuve inquiet à travers les chansons de son album Rough and Rowdy Ways, Dylan, toujours fidèle à son chemin, avance avec l’horizon de Key West en ligne de mire. Et s’il y avait encore des doutes, It Ain’t Me Babe remet immédiatement les pendules à l’heure, comme un avertissement retentissant de guitares alertes : que personne ne pense à exiger qu’il ferme les yeux ou son cœur, car la vraie vie est là où personne ne regarde, sauf le poète qui risque de s’aventurer dans les ruelles de la Désolation et nous rappelle que le monde n’est qu’un vaste cirque rempli de circonstances.

La Seine Musicale. Ile Seguin, Boulogne-Billancourt. Paris, automne 2024.

L’ensemble est magnifique dans sa profondeur. Tout ici n’est qu’ordre et beauté. Bob Dylan s’appuie sur son piano pour nous parler à voix basse, comme on le ferait avec un ami, accoudé au bar, autour d’un dernier verre à l’heure tardive. Attentif au moindre signe, le groupe observe depuis sa tour de guet. Plus concentré que jamais, il accompagne chaque chanson avec autorité sans rien ôter de leur mystère. Il distille les bonnes notes tandis que la voix de Dylan transforme les paroles, nous les faisant entendre comme si c’était la première fois. La présence de l’harmonica ajoute à l’intimité que le poète établit entre lui et le public, qu’il remercie à plusieurs reprises, fait assez rare pour être noté.
Dans la salle ce jeudi soir, Hugues Aufray est venu assister au concert en ami, lui qui a si bien traduit et adapté Bob Dylan en français et ne manque aucune de ses apparitions parisiennes. Juste avant Every Grain of Sand qui clôt le set, Hugues Aufray est invité à rejoindre Dylan en coulisses. Je suis assis au rang juste derrière. Comprenant ce qui est en train de se passer, je me dis qu’il est vraiment réconfortant de voir que ces deux-là ont encore des choses à partager et que, fidèles à ce qu’ils ont toujours voulu devenir, ils persistent… même dans les jours sombres.

At La Seine Musicale, Bob Dylan watches the river of time flow
La Seine Musicale is a place today dedicated to the performing arts, but it wasn’t always the case. Built on the site of the former Renault factory in Boulogne-Billancourt, it would have suited Workingman’s Blues #2, which rests in the limbo of Modern Times.
But it’s a completely different story that Bob Dylan tells about this Great Seine, which he knows well because he inaugurated it during a visit to Paris on April 21, 2017, still glowing from the Nobel Prize in Literature he received a few months earlier. Today, winding like an uneasy river through the songs of his album Rough and Rowdy Ways, Dylan, always true to his path, moves forward with the horizon of Key West in his sights.
And if there were any doubts, It Ain’t Me Babe immediately sets the record straight, like a resounding warning from alert guitars: let no one think to demand that he close his eyes or his heart, for real life is where no one looks except the poet who risks venturing into the alleys of Desolation and reminds us that the world is just a vast circus filled with circumstances.
The set is magnifient in its depth. Everything here is order and beauty, to put it in Baudelaire’s words. Bob Dylan leans on his piano to speak to us in confiences as one would with a friend, leaning at the bar, over a last drink as it gets late. Attentive to the slightest sign, the band watches from their lookout tower. More focused than ever, he accompanies each song with
authority without taking away their mystery. He strikes the right notes while Dylan’s voice transforms the lyrics, making us hear them as if it were the first time. The presence of the harmonica adds to the intimacy that the poet establishes between himself and the audience, whom he thanks several times.
In the audience this Thursday night, Hugues Aufray came to attend the concert
as a friend, he who has so beautifully translated and adapted Bob Dylan into French and never misses any of his Parisian appearances. Just before Every Grain of Sand, which closes the set, Hugues Aufray is invited to join Dylan backstage. Watching the scene unfold right before my eyes, I think it is so comforting to see that these two still have things to share and that, true to what they have always wanted to become, they persist… even in dark days.

Bob Dylan à La Grande Seine. 24 et 25 octobre 2024.

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Grand Rex, 11 octobre 2022

À 17 heures, nous sommes une poignée de fans autour du bus de tournée garé boulevard Poissonnière, devant le Grand Rex où aura lieu le concert du soir. Mais Bob nous fait des blagues ! En vérité, il n’est pas dans le bus. Il arrive à 18 h 30 en voiture privée. Pendant que le service de sécurité fait semblant de sécuriser l’espace entre le bus et l’entrée des artistes, il passe derrière notre dos, entouré de deux personnes, portant une veste à capuche grise, de sorte que personne ne l’a vraiment vu entrer dans la salle de concert. Nous sommes bernés. Respect !
Le concert était magnifique, plein d’émotion, dans une ambiance vraiment chaleureuse. Standing ovation après chaque chanson et plus encore quand Bob quitte son piano pour venir saluer le public au milieu de la scène. Il est vêtu d’une chemise rouge et de son traditionnel costume noir. Sa voix est très chaleureuse, il la module à son gré. Entre son jeu de piano et sa voix, c’est l’accord parfait, que le groupe sublime par sa présence à la fois solide et discrète. Tony Garnier est aux commandes et Charles Drayton est sur un nuage. Avec Donnie Herron, la complicité est merveilleuse.
La setlist est la même tous les soirs, mais à chaque concert, Bob se réinvente. Il est encore là à Paris pour deux sets. Je serai de nouveau là jeudi pour l’écouter et lui dire bonjour. Et s’il me passe encore une fois dans le dos, en me frôlant, comme c’était le cas ce mardi soir, je frissonnerai sans rien demander de plus !

At 5pm, we are a handful of fans around the tour bus parked on boulevard Poissonnière, in front of the Grand Rex where the evening concert will take place. But Bob is playing tricks! In truth he is not in the bus. He arrives at 6:30 pm in a private car. While the security service pretends to secure the space between the bus and the artists’ entrance of the Grand Rex, he passes behind our back, surrounded by two people, wearing a grey hooded jacket, so that nobody has really seen him enter the concert hall. Respect!
The concert was magnificent, full of emotion, in a really warm atmosphere.
Standing ovation after each song and when Bob leaves his piano to come and greet the audience from the middle of the stage. He is dressed in a red shirt and his traditional black suit. His voice is very warm, he modulatesit to his liking. Between his piano playing and his voice, it is the perfect agreement, that the band sublimates by its presence at the same time
solid and discrete. Tony Garnier is in charge and Charles Drayton is on a cloud. With Donnie Herron, the complicity is wonderful.The setlist is the same as every night, but with each concert, Bob actually reinvents himself. He is still here in Paris for two more nights. I’ll be there again on Thursday to listen to him and say hello. And if he passes me once more in
the back, brushing me, as it was the case this Tuesday evening, I will shiver without asking anything more !

Le bus de la tournée devant le Grand Rex. Paris, boulevard Poissonnière, octobre 2022.

Grand Rex, 13 octobre 2022 | A long meditation on time

Bob Dylan a toutes les raisons de se sentir bien à Paris. Il aime Charles Aznavour et les enfants des années soixante, le public auquel il adresse ce dernier soir un « je vous aime » rempli de frissons et puis, quand il est venu à l’Olympia en 1966 avec sa guitare électrique, personne ici ne l’a traité de Judas. Ça crée des liens. Ces liens se sont renforcés lors du dernier des trois concerts au Grand Rex, une salle étoilée où Bob est chez lui. D’ailleurs, il se débarrasse vite de sa veste et joue en chemise bordeaux. Comme à la maison.
La complicité est immédiate avec les musiciens comme avec le public et nous voilà emportés dans le fleuve tranquille d’une longue méditation sur le temps. Toute la tournée Rough and Rowdy Ways est en effet construite sur l’idée du temps qui, de The times they are a-changin’ à Modern times en passant par Time out of mind et même Most of the time, traverse l’œuvre de Bob Dylan.
De Watching the river flow, le temps s’écoule dans le sablier d’une poésie incandescente, jusqu’à Key West (l’endroit où il faut être si l’on cherche l’immortalité), à la fois merveilleux et implacable, merveilleux parce que chaque chanson est belle et implacable parce qu’à 22 h 15 et quelques poussières de notes, nous savons tous qu’il quittera la scène pour se précipiter dans un van avec en point de mire une nouvelle « home » direction (puisque la scène est sa demeure), Bruxelles dans ce cas.
OK, le concert était magnifique, plein d’émotion. Tout le monde est conscient que cette soirée est un moment volé aux temps troublés qui nous submergent. Nous nageons dans le bonheur d’une communion où chaque grain de sable compte autant qu’une brassée d’univers. Bob salue Paris avec un dernier solo d’harmonica sur Every grain of sand auquel nous avons eu raison de croire jusqu’au bout. « Ce n’est pas tout à fait la fin, je vais juste dire au revoir jusqu’à ce que nous nous revoyions. »
Juste Restless Farewell, Monsieur Bob Dylan !

Bob Dylan has every reason to feel good in Paris. He loves Charles Aznavour and the children of the sixties, the public to which he addresses this last evening, an « I love you » filled with shivers and then, when he came to the Olympia in 1966 with his electric guitar, nobody here called him a Judas. That creates bonds. And these bonds were reinforced during the last of the three concerts at the Grand Rex, a starry-sky venue where Bob is at home. Besides, he quickly takes off his jacket and plays in a burgundy colored shirt.
The complicity is immediate with the musicians as well as with the audience and here we are carried away in the tranquil river of a long meditation on time. All the Rough and Rowdy Ways tour is indeed built on the idea of time which, from The times they are a-changin’ to Modern times through Time out of mind and even Most of the time, runs through the work of Bob Dylan.
From Watching the river flow, time flows in the hourglass of incandescent poetry, up to Key West (the place to be if you’re looking for immortality), both wonderful and relentless, wonderful because every song is beautiful and relentless because at 10:15 p.m. and a few dusty notes, we all know that he will leave the scene to rush into a van with a new direction home, Brussels in this case.
OK, the concert was wonderful, full of a lot of emotion.
Everyone is aware that this evening is a moment stolen from the troubled times that overwhelm us. We swim in the happiness of a communion where each grain of sand counts as much as an armful of universes. Bob greets Paris with a last harmonica solo on Every grain of sand which we were right to believe in until the end. « It ain’t quite the end, I’ll just bid farewell till we meet again. »
Just Restless Farewell, Mister Bob Dylan !

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*Titre extrait du premier vers du troisième couplet de la chanson Not Dark Yet qui dit : « Well I been to London and I been to gay Paris  / Je suis allé à Londres et j’ai fait la fête à Paris ». Dans cette chanson aux accents sombres où Dylan parle de son rapport au monde, on peut aussi lire ceci : « Well my sense of humanity has gone down the drain / Ma compréhension de l’humanité a fini dans les égouts ».
La chanson Not Dark Yet a été gravée sur l’album Time out of mind (1997).