Phrag/mes

« Nous courons dans l’incendie du monde » – René Nelli


Le moment du mot

quelque chose –
ombre ?
jour ?
ne sais encore

hésite

(pourquoi un mot plutôt qu’un autre ? Pourquoi ombre ? Pourquoi ? A sa place, aurais pu choisir, ne sais, ou ne pas écrire mais)

faut-il que le jour finisse ?

rien ne presse
attendre dans l’ombre
que vienne ou ne vienne pas
la phrase

attendre

(et pour cela des mots, dresser des listes de mots, choisir ou ne pas choisir d’écrire ombre plutôt que nuit par exemple ou voile ou quelque chose comme – une texture ? – ne sais pas)

attendre
la phrase

attendre
le moment
où la phrase
soudain
s’étire
quand derrière l’ombre
un rideau d’ombre encore
soulève un voile d’ombre
mais

faut-il que le jour finisse ?

(et l’ombre ?)

attendre
encore
que vienne ou ne vienne pas
le mot

(tapi dans l’ombre
attend)

le mot
ciel
dans un moment peut-être

au crépuscule
attend que
vienne ou ne vienne pas
le moment
du mot

et la terre ?

cime au ciel
caresse les nuages

que vienne donc
le mot
ciel
et les arbres caressant de leur cime les nuages
là-haut

que serions-nous sans la terre ?
et le ciel ?
et la cime des mots ?
les nuages dans le jour finissant ?

quand une main
errante
une main peut-être
d’ombre
subreptice
sur une épaule
sous le ciel
les nuages
dans l’ombre

tandis que
la main
effleure
le lointain
du mot

Quand soudain, quelque chose, une ombre dans le jour finissant, oui, dans ce moment crépusculaire où tout, le ciel, la terre, la cime des arbres, les nuages, semble basculer dans les limbes, une main furtive se pose sur son épaule, un souffle l’effleure. Un lointain je suis là.

-o-

Les arbres (Série I/3-5)

Pastel à l’huile sur papier. Décembre 2020.

-o-

NB – Ce texte a été écrit dans le cadre du cycle été 2025 des Ateliers du Tiers Livre animés par François Bon. Il s’agissait de la proposition 13 (voir la vidéo de présentation) avec, en appui, deux textes de Laure Gauthier : Kaspar de pierre (La lettre volée) et Je neige (LansKine).