Carnet de mai 2025

-o-
Dimanche4mai | Les mots bas
Je pense avoir terminé le poème Crépuscule. « Je suis alité. Mon corps ne bouge pas. Je vérifie que je suis homme… »
Puis-je en être si sûr ? Là est toute la tension qui me lie au texte. Peuvent surgir à tout moment le mot, la chose qui bouleversent. Et voici les cartes rebattues. Ici, chaque avancée se paie de la sueur au front. L’âme vague. La main amoureuse de la phrase dont rien ne dit qu’elle adviendra.
Crépuscule – Poème qui garde à mes yeux son mystère. J’ignore d’où cet objet provient. De quelle galaxie est-il tombé dans les mots bas ? J’ignore jusqu’à quel point j’en suis l’auteur. Lui-même en paraît fort surpris. « Je vérifie… », susurre-t-il à mon oreille. En vérité, ni lui ni moi ne savons. « Je balance, entre l’incertitude et le désarroi », tandis que le jour s’égare et que l’orage gronde au moment où j’écris qu’en vérité je ne sais pas. J’écris noir sur blanc et sans le moindre tremblement : en vérité je ne sais pas.
Ce dont je suis convaincu est que le seul espace à mon corps habitable réside dans les pages si précieuses de ce carnet. Pages dont, dans les pas de Ponge, j’assume d’être non l’auteur mais l’humble scripteur. Je n’écris pas. Je transcris. « Je ne suis plus moi-même. La nuit tombe ».
-o-
Lundi5mai | Une pauvre nécessité…
De Rainer Maria Rilke à Lou Andreas-Salomé, le 8 août 1903 :
« La première fois que j’allai chez Rodin, en déjeunant à Meudon avec des gens que je ne connaissais pas, avec des commensaux de hasard, je compris que sa maison n’était rien pour lui, sinon une pauvre nécessité : un abri contre le froid, un toit pour dormir. Elle le laissait indifférent et ne pesait pas le moins du monde sur sa solitude ou son recueillement. C’est en soi qu’il trouvait un foyer : ombre, refuge et paix ».
-o-
Jeudi8mai | Balade dans le cirque de Mourèze





-o-
Mardi13mai | Montpellier, matin
Ma toute toute toute première expérience vidéo. En autodidacte. Je découvre. Je tâtonne. Comment bien tenir l’iPhone dans la main. Ne pas trembler. Ne pas respirer. Ne pas parler. Puis montage des séquences (merci l’interface intuitive d’iMovie). Je n’ose pas dire des rushes. Je ne suis pas un professionnel. N’entends plus évidemment – à mon âge – le devenir. Encore moins un spécialiste. Surtout pas. Juste un amateur qui tâtonnera toujours avec un seul souci, celui – primordial – de préserver la spontanéité du geste. Un amateur donc qui fera tout pour conserver dans ce tâtonnement l’étonnement du moment.
Alors les questions, qu’est-ce qui incite à tirer le smartphone de sa poche et filmer, pourquoi, pourquoi pas, pourquoi une vidéo plutôt qu’une photographie, pourquoi, toutes ces questions, je les laisse aux spécialistes. Aux vrais… Moi, je me contente de goûter aux joies de la découverte dans toute sa naïveté enfantine. Seule m’importe la manière nouvelle (pour moi) de tenter une saisie de l’instant avec en main un autre outil que mon Bic. Instant poétique, qui sait ? Puisque la poésie – disent les vrais poètes – est instant. Un petit tour et puis s’en va. Et tout va bien.
Mercredi14mai | Vacillement central
Nous sommes au XXe siècle. Les années vingt touchent à leur fin lorsque George Oppen, Charles Reznikoff et Louis Zukofsky fondent « la confrérie secrète des objectivistes ». Ils marchent dans les pas d’Ezra Pound et de William Carlos Williams. En 1934, paraît le premier recueil d’Oppen : Discrete Series. Ça commence par ces vers :
« La connaissance non pas de la tristesse disiez-
vous mais de l’ennui »
George Oppen adhère au Parti communiste en 1935. Au moment où, après guerre, l’Amérique sombre dans la répression maccarthyste, George et sa compagne Mary sont contraints de s’exiler au Mexique.
« … Cette œuvre (…) s’accompagnait d’une exigence d’écriture que les derniers poèmes poussaient à l’extrême, en démembrant la syntaxe et les vers pour mieux en souligner le vacillement central… », écrit son traducteur Yves di Manno se souvenant de sa première lecture.

Un café allongé sur la place des Beaux-Arts de Montpellier en compagnie de George Oppen dont je découvre l’œuvre poétique dans la traduction d’Yves Di Manno qui vient d’être rééditée chez Corti.
mercredi 14 mai. 10 h 16.
« … j’intitulerai le livre
série empirique
série toute la force
dans les événements des myriades
de lumières sont entrées
en nous musique plus puissante
que la musique
jusqu’à ce que d’autres voix nous
éveillent ou que nous sombrions ».
Source : George Oppen, Poésie complète. Traduit par Yves di Manno. Editions Corti.
-o-
Jeudi22mai | Journée parisienne


-o-
Jeudi22mai (2) | Le PC du colonel Rol-Tanguy
Dimanche25mai | Au Père-Lachaise
C’est un dimanche ordinaire. Quelques nuages. Pas de pluie. J’ai remonté la rue de la Roquette jusqu’au boulevard de Ménilmontant que je traverse pour accéder à la porte d’entrée principale du cimetière. Aujourd’hui, je me promènerai sans but. J’irai par les allées. Dans ma déambulation, j’espère le moment où je serai comme effacé, fondu dans le paysage, parmi les oubliés, les oiseaux et les ombres.







-o-
Dimanche25mai (2) | Sur écoute, Père-Lachaise
En retrait d’une des allées principales du cimetière, l’iPhone posé contre un tronc d’arbre. A l’écoute des bruissements et des conversations ailées.
