Phrag/mes

« Nous courons dans l’incendie du monde » – René Nelli


Un « bouquet de lune »

Le 21 juillet 1944, dans la plaine de Chanfroy à Fontainebleau, une vingtaine de résistants sont assassinés par la Gestapo. Parmi eux : Robert Rius, né le 27 février 1914 à Château-Roussillon, près de Perpignan.

Robert Rius avait fait ses premiers pas littéraires en Roussillon, aux côtés de Charles Trénet, dans le sillage d’Albert Bausil qui ouvrait alors aux jeunes talents les colonnes de son journal, Le Coq Catalan.

-o-

Dès son arrivée à Paris, Robert Rius intègre le groupe surréaliste. André Breton le prend comme secrétaire : Rius l’aidera dans la préparation de l’Anthologie de l’humour noir. En 1940, quand Breton choisit l’exil en Amérique, Rius décide de rester à Paris et de prendre les armes.

Il avait été parmi les premiers à s’engager dans la Fédération internationale pour un art révolutionnaire indépendant, la Fiari d’obédience trotskyste. Le voici bientôt animateur des éditions clandestines de La Main à Plume. A cette époque, Robert Rius était déjà un poète confirmé : il avait publié son premier recueil en mai 1940 aux Editions Surréalistes, ce qui lui avait conféré une certaine autorité et lui avait valu, pour preuve de confiance, de recevoir en dépôt les clés de l’appartement d’André Breton, rue Fontaine à Paris.

Le recueil est illustré par le peintre Victor Brauner, ami de Robert Rius

Frappe de l’écho – c’est le titre du livre illustré par son ami Victor Brauner – témoigne d’une parole poétique authentiquement surréaliste. En poésie, Rius avait provoqué le soulèvement des mots, la révolte de la parole. C’est quand il comprit que la force verbale n’y suffirait pas qu’il choisit la résistance armée pour s’opposer à la barbarie. Il l’a payé de sa vie.

Frappe de l’écho était devenu introuvable. L’association pour la mémoire de Robert Rius – dont le siège est à Collioure – met fin à ce silence. Un cahier publié à l’occasion du centenaire de la naissance du poète reprend l’édition de 1940 de Frappe de l’écho suivie d’une étude par Lola Le Testu, étudiante à Paris IV-Sorbonne qui a consacré son mémoire de Master 1 en littérature française à Robert Rius et au mouvement surréaliste sous l’Occupation allemande.

Frappe de l’écho offre au lecteur d’aujourd’hui l’opportunité d’entendre la voix d’un jeune insurgé qui avait ancré sa vocation poétique dans l’idée révolutionnaire. Les thèmes de l’amour et du désir, communs à tous les surréalistes, acquièrent une dimension solaire sous la plume de Robert Rius qui retrouve là les accents des troubadours. Guilhem de Cabestany était lui aussi de Château-Roussillon !

-o-

Mais c’est ici l’inquiétude qui retient plus encore l’attention. Elle se lit dans des vers qui interrogent « les nuits vides » et « l’eau saumâtre » d’un monde en train de sombrer dans l’horreur. Tandis que « le noir rayon de chair (est) appelé au destin de vivre », à l’heure où « les horloges mâchent tous les passants », c’est l’arme des mots que brandit encore le poète pour célébrer « la constellation nouvelle » et, dans la bouche de l’aimée, « le bouquet de lune ».

-o-

Ressources : le site de l’association pour la mémoire de Robert Rius.