Dans L’outrage aux mots, Bernard Noël met en garde contre la pression qu’exerce sur chacun de nous, dans notre quotidien, nos pratiques, nos échanges, nos conversations, jusque dans notre intime,
la langue dominante.
-o-
Revenant sur le procès qui lui a été intenté après la publication du Château de Cène en 1969, il s’interroge sur la nature de la censure exercée par la langue de la bourgeoisie contre la langue du livre.
« La censure bâillonne », dit-il. « Elle réduit au silence. Mais elle ne violente pas la langue. Seul l’abus de langage la violente en la dénaturant. Le pouvoir bourgeois fonde son libéralisme sur l’absence de censure, mais il a constamment recours à l’abus de langage ».
-o-
Pas la censure. L’abus. Voilà le nœud.
Nous sommes abusés.
Nous vivons dans un régime de liberté conditionnée par l’usage d’une langue que la classe dominante détourne à son profit.
La question devient donc, et c’est toujours Bernard Noël qui la pose : « Comment retourner sa langue contre elle-même quand on se découvre censuré par sa propre langue ? »
-o-
Une langue sous la langue

-o-
retour/retourner/retournement.
La poésie : un retournement de la langue.
-o-
Bernard Noël encore : « Comment traiter ma phrase pour qu’elle refuse l’articulation du pouvoir ? » C’est tout l’enjeu de l’écriture. L’écrivain se doit à une langue qui réfute. Une langue qui refuse son instrumentalisation.
-o-
La poésie : combat à l’intérieur de la langue contre les abus de la langue même.
-o-
Comment extirper la langue de la soumission au pouvoir ? En l’abandonnant à ses abus pour parler une autre langue ? En la détournant ?
-o-
détour/détourner/détournement
La poésie : un détour de langue.
-o-
Cette langue du détour existe-t-elle ? Bernard Noël en dessine les contours : « Je sens une autre langue sous ma langue. » La poésie : une langue sous la langue. « Quelque chose qui veut percer ». Comme la pluie derrière le rideau.
-o-
Source : Bernard Noël, L’outrage aux mots, Œuvres II, POL.
7 mars – 29 mai 2023
