Joe Bousquet : « Les faits les plus innocents (…) paraissent se subordonner à des relations souterraines dont notre âme aurait fourni le tracé ».
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l’œil brisé regarde l’œil encore…
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Il faudrait du temps et encore du temps ajouté au temps
l’œil brisé regarde l’œil et encore l’œil plus loin que l’œil de l’aigle ou du serpent
du temps ajouté au temps
l’œil dans l’œil du serpent
nos âmes dépositaires
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éviter la nuit
changer la couleur des signes
déchirer les nuages
tendre la main au visible
dans la cornue agiter la formule
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écrire des silences
déborder d’encre
laisser les mots libres de s’avancer jusqu’au bord de la feuille
petits soldats bons pour
le crépitement de la mitraille
les crachats du silence
le canon dans les marges
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déborder d’encre
et dans l’attente d’aubes
écouter la vague
ressasser le ressac
comme on boit l’eau des mots
comme on pend les mots
à l’arbre de l’oubli
jeu amer
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Il voulut
épouser le sauvage
changer la couleur des nuages
tendre la main au signe
malaxer la glaise du temps
du temps encore
ajouté au temps
l’œil
regardant l’œil
aigle ou serpent
avancer d’ombre
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Les faits, écrit encore Bousquet, « nous font douter de notre raison ».
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Il voulut
noter l’inexprimable
fouiller les souterrains de l’âme
déborder d’encre
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il faudrait du temps moulu au grain des jours
pour retenir les traits de son visage
tant il va au silence
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les dessus de porte, décors, (…) enluminures

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je me vantais de posséder les paysages
les dessus de porte, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures, la littérature passée de mode, le latin d’église, les livres érotiques, les romans à l’eau de rose, les contes de fée, la veillée des chaumières, les opéras de Mozart, la dérive des continents
je croyais aux raretés de la peinture et de la poésie moderne
aux refrains naïfs
aux enchantements
je rêvais Commune, feu, révolutions
je pensais voyelles – A noir, E blanc etc… – formules, impairs et décasyllabes,
pour en finir avec
le jeu amer
je cacherai les verbes
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pas d’illumination
ni de lumière
aux âmes souterraines
les faits innocents
nos mains aveugles vont
tâtonnant dans la nuit
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Ce texte a été composé dans la compagnie de : Joe Bousquet, Le meneur de lune, éditions Albin Michel ; Arthur Rimbaud, Alchimie du Verbe, extrait de Une saison en enfer, éditions Garnier-Flammarion.
10-15 mai 2023