Le journal de mars 2023

le kiosque de Stephan, un porte-plume & un saint pluviophile

vendredi31

Le kiosque de Stephan – Place Catalogne, Perpignan

Depuis bientôt quinze ans j’allais acheter ma presse au kiosque de Stephan. C’était un rituel. Gagnés par la force de l’habitude, nous l’accomplissions l’un l’autre avec la même ferveur. Un mot parfois suffit et l’air du temps.

Je ne peux pas dire que je connaissais Stephan mais, impression curieuse, il me semble quand même le connaître un peu. Il était devenu un familier. Nous vivions dans un même monde.

Son visage, son accent. Sa manière alerte et faussement désinvolte de rendre la monnaie. Peut-être n’accordait-il à l’argent que l’attention qu’il mérite alors qu’il était contraint par le métier de compter avec soin.

Cet homme auquel je serre une dernière fois la main, supporteur inconditionnel du Barça (il porte le maillot du club lors de grandes confrontations), je ne le reverrai peut-être plus jamais car Stephan cesse son activité ce soir-même et rien ne dit que nous nous reverrons un jour tant la vie est incertaine. Je n’assisterai pas au moment où il va fermer sa devanture. Ce n’est pas là ma place. Il doit seul baisser le rideau du kiosque dont il occupait l’espace minuscule depuis vingt-six ans, sept jours sur sept moins le dimanche après-midi et quelques rares vacances. Cette heure est sienne.

Ce soir un familier s’éloigne et c’est un peu de moi qu’il emporte, dissipé dans les ombres.

jeudi30

Passée sous silence. La journée, une parenthèse sans mots. Pas parvenu à lire ni écrire une seule ligne. Epreuve abordée sans la sensation de l’épreuve. Il y a quelque chose d’apaisant dans le fait de remettre son corps entre des mains expertes et inconnues. 

… ôté à moi-même, que puis-je ?

mardi28

Débat sur la motion de censure à l’Assemblée nationale

Au dixième jour de manifestation contre la réforme des retraites, la question que beaucoup se posent : comment sortir d’une situation de tension croissante ? Quelle issue pour la République et la démocratie mises à mal par l’intransigeance d’un monarque-président ? 

Le Monde publie une tribune dans laquelle Bastien François, professeur de science politique à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, dresse un état des lieux de la situation politique après le rejet de la motion de censure transpartisane déposée le 20 mars contre le gouvernement et sa réforme controversée.

« Voilà le gouvernement à l’arrêt, écrit l’universitaire, et son chef réel, le président de la République, incapable de tracer une autre perspective qu’un élargissement fort improbable, de la majorité relative qui le soutient jusqu’à présent à l’Assemblée nationale. Voilà la mobilisation sociale relancée, les oppositions ragaillardies, les potentiels alliés d’hier (les Républicains) fracturés, le camp présidentiel lui-même gagné par le doute. Voilà la défiance installée partout, dans la rue et au Parlement. Voilà la violence qui se déchaîne, nourrie par l’arrogance, parfois le mépris et, en tout cas, la surdité des gouvernants ». 

« Dans n’importe quel autre régime parlementaire, poursuit Bastien François, la dissolution de l’Assemblée nationale s’imposerait pour régler démocratiquement la crise politique ». Mais la Constitution de la Ve République rend l’affaire plus complexe. Faudrait-il, pour mettre un terme à la crise, en appeler à son article 10 qui « permet au président de la République de demander une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles avant sa promulgation » ? Son déclenchement se heurte à l’intransigeance  élyséenne quand le peuple réclame, lui, le retrait pur et simple de la réforme. 

La France est donc dans une impasse et celui-là seul qui détient la clé se refuse à toute issue. Pourtant, alerte Bastien François : « Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre les quatre années qui viennent avec un gouvernement incapable de s’attaquer aux redoutables défis sociaux, économiques, environnementaux et militaires que nous affrontons (…) Mercredi 22 mars, le président de la République a assuré agir en responsabilité. La responsabilité ici, alors que le sixième rapport du Giec démontre que nous n’avons plus qu’une décennie pour éviter la catastrophe, serait de surseoir à l’application de la réforme pour ne pas en obérer d’autres à venir, bien plus essentielles pour notre avenir et celui des générations futures ».

samedi25

Ses amis l’appelaient Rosette

Née dans une famille de huit enfants, elle avait débuté dans la vie comme femme de ménage chez un officier de police de Perpignan d’abord, puis chez un oncle, à Paris, qui l’avait prise sous son aile protectrice après le décès prématuré de son père et lui permit de se former à la dactylographie. 

De retour dans son Roussillon natal, Rose Blanc adhère en 1935 à la Jeunesse communiste. Dès l’année suivante, on la retrouve dans l’équipe de direction où elle se révèle « une animatrice exceptionnelle » et « une organisatrice de talent ». On lui doit l’implantation dans les Pyrénées-Orientales de l’Union des jeunes filles françaises, une organisation liée à la JC et créée en 1936 par Danielle Casanova. 

Rosette apporte toute sa force militante à la direction clandestine du Parti communiste lors de sa dissolution. En 1940, elle est chargée par le Comité central d’assurer les liaisons entre les organisations du Parti. Elle se rapproche alors de Danielle Casanova.  

Rose Blanc qui se fait appeler Amélie Garrigue – clandestinité oblige – est arrêtée par la police française en mars 1942 à Paris. D’abord incarcérée à la prison de la Santé, elle est transférée le 24 août 1942 au fort de Romainville. Le 24 janvier 1943, elle est déportée à Auschwitz où elle meurt le 15 mars 1943, victime de l’épidémie de typhus qui sévit dans le camp d’extermination. 

Ce convoi connu sous le nom de « convoi des femmes résistantes » était composé de 230 femmes. 85 % d’entre elles étaient des résistantes parmi lesquelles se trouvaient Danielle Casanova et Marie-Claude Vaillant-Couturier. A leur arrivée à Birkenau, elles franchissent le portail d’entrée en chantant la Marseillaise. Elles sont immatriculées entre les numéros 31625 et 31854. En 1944, les survivantes sont transférées au camp de femmes de Ravensbrück. Leur libération a lieu entre fin-mars et avril 1945. Au final, seules 49 des 230 déportées ont survécu. 

Ce matin, à l’appel de l’Association des Amis de la Fondation de la Mémoire de la Déportation et de Femmes Solidaires 66, hommage est rendu à la résistante Rose Blanc, assassinée à Auschwitz le 15 mars 1943. La cérémonie a lieu à l’angle des boulevards Anatole France et Frédéric Mistral où se dresse une stèle à sa mémoire, non loin d’une avenue de la ville portant son nom. Ses amis l’appelaient Rosette. 

Sources : Le site du Maitron pour la biographie de Rose Blanc. Le site Mémoire Vive pour l’historique du convoi du 24 janvier 1943. 

vendredi24

Etendoir au jardin – Carcassonne

« Il fabrique les choses avec calme compose ses objets travaille
avec dextérité »

(Benoît Casas, extrait de Combine, éditions Nous)

Ce pourrait être cela, le travail du poète.

parfois
nous heurtons le ciel

nous croyons
aux étoiles

et
nous ne savons pas

jeudi23

 Foule : 1) multitude de personnes rassemblées en un lieu. 2) en sociologie, réunion d’êtres humains considérée comme une unité psychologique et sociale ayant une sensibilité, une mentalité collective, un comportement, des caractères propres. 3) Le commun, la masse des hommes, opposé à l’élite. 

Peuple : 1) Ensemble d’humains vivant en société, habitant un territoire, ayant en commun un certain nombre de coutumes, d’institutions et, parfois, une communauté d’origine. 2) Corps de la nation, ensemble des personnes soumises aux mêmes lois. 3) Ensemble d’une population en tant que sujet de droits politiques.

La foule est par nature éphémère. Elle se rassemble spontanément en un lieu dans un but précis (manifestation festive, concert géant, rencontre sportive…). Puis elle se disperse. Ou « on » la disperse par la force si nécessaire. On ne disperse pas le peuple pas plus qu’on ne le dissout. Le peuple en tant qu’il s’est forgé comme corps de la nation, détient la légitimité que le Pouvoir lui refuse dès lors qu’il l’assimile à une foule. 

Se pose donc la question : qui défilait dans les rues de France aujourd’hui ? A n’en pas douter, le peuple en tant que corps social, mais que le Pouvoir réduisit brutalement à une foule à seules fins de lui ôter sa légitimité et justifier le recours à la force pour le disperser. 

Source : Le Grand Robert de la langue française

mercredi22

Il est 13 h. Je le regarde sur l’écran de télévision. Je l’écoute et, au fur et à mesure de l’entretien, je me demande : à qui parle-t-il ?

lundi20

Les nuées d’oiseaux ont disparu qui, de leurs cris joyeux mêlés aux éclats solaires des récréations, saluaient jadis l’arrivée du printemps.

dimanche19

Rue Petite la Réal – Perpignan

« Je ne quitterai plus le journal. C’est ici que je dois tenir, car ici seulement je le peux ». 

Journal de Kafka, 16 décembre 1910

Le cahier est le lieu où Kafka chaque soir se retire.  

« Le soir, le calme enfin revenu, Kafka ouvrait le secrétaire de son bureau et en tirait quelques cahiers à la couverture noire ou brune, format in-octavo. S’il faisait trop froid, il emportait ces cahiers, un porte plume et un flacon d’encre noire dans le salon, où les braises en passe de s’éteindre donnaient encore assez de chaleur », indique Reiner Stach dans sa biographie de Kafka. 

Peu importe la pièce où il écrit, chambre (qui dans l’appartement familial tient lieu de bureau) ou salon, le cahier est le lieu d’écriture. C’est ici que Kafka peut se tenir et tenir à la fois, tout obstacle levé qui, ailleurs dans le monde, le sépare de la littérature. 

Cahiers de Kafka, cahiers de Joë Bousquet, cahiers de Paul Valéry, cahiers d’Antonio Gramsci… toujours le cahier comme espace d’une tension vers l’écriture, seul lieu habitable en vérité. 

samedi18

Procession de Saint-Gaudérique

Rives de la Têt – Perpignan

Ce samedi, un cortège insolite se lance dans les rues de Perpignan. C’est une tradition wisigothique vieille de plus de mille ans qu’une poignée de catholiques fervents – dont certains connus pour leur sympathie avec les traditionalistes – ressort de la poussière des temps. En cette année de sècheresse record qui menace – entre autres – l’agriculture locale en peine d’adaptation au changement climatique, il s’agit d’implorer Saint-Gaudérique. Le saint patron des agriculteurs a paraît-il le don de déclencher la pluie. 

De la cathédrale Saint-Jean aux rives de la Têt où le saint doit être immergé – étape cruciale pour que le miracle s’accomplisse – la procession rassemble le banc et l’arrière banc du diocèse avec en tête l’archiprêtre de la cathédrale Saint-Jean talonné par un parterre politique composé d’une ribambelle d’élus de la majorité municipale Rassemblement national dont au moins trois adjoints et deux conseillers municipaux à l’initiative de cette célébration hors sol. Le monde agricole n’est pas en reste qui a dépêché sur place l’actuelle présidente de la chambre d’agriculture quand l’ancien président départemental de la FDSEA est parfaitement reconnaissable à sa belle carrure de rugbyman. 

Mais rien n’est facile et les difficultés s’accumulent sur le chemin des pénitents. Ce ne sont pas les reliques du saint, jugées trop fragiles, qui seront immergées dans les eaux du fleuve comme le préconise le rituel, ni son buste reliquaire en bois précieux que l’on devra en désespoir de cause se contenter de promener au-dessus des eaux afin de n’en pas altérer la matière. Fais ce que doys, advienne que pourra, dit le proverbe… 

Le maire de Perpignan Louis Aliot, avec la prudence et la malice d’un chat – animal réputé ne pas aimer la pluie -, précise de son côté au Canard Enchaîné que son parti n’est bien sûr pas à la manœuvre. « C’est une vieille tradition », se défend-il. Il ne croit pas si bien dire. Venus en observateurs pour humer l’ambiance, quelques uns qui ne croient pas au ciel partagent le sentiment étrange et singulier d’accomplir, en marge du pieux cortège, un bond de cent-cinquante ans en arrière, époque à laquelle remonte, au dire des connaisseurs, la dernière sortie du saint pluviophile.

vendredi17

L’historien Gérard Bonet pendant sa conférence à l’Université Populaire du Travailleur Catalan

Maison des communistes – Perpignan

Invité à l’Université Populaire du Travail Catalan, l’historien spécialiste de la presse Gérard Bonet lève le voile sur une entreprise de manipulation de l’opinion longtemps passée sous silence.

Le 19 octobre 1938, trente huit journaux de province participaient à la création de l’agence de presse Inter-France. Son fondateur, Dominique Sordet, était maurrassien, nationaliste et monarchiste. En 1936, il avait rédigé le Manifeste des 300, un pamphlet dirigé contre le Front populaire et diffusé dans tout le pays par 300 publications. 

L’agence prospère grâce au soutien financier de grands industriels, de banques et des caisses noires du patronat. En décembre 1938, elle peut compter sur 430 périodiques qui relaient un tract violemment anticommuniste, acte fondateur d’une agence de propagande qui, forte de ses différents outils de diffusion – bulletins, dépêches télégraphiques, maison d’édition – se transforme en redoutable machine de manipulation de l’opinion. 

Dans notre région, La Dépêche de Toulouse et L’Indépendant de Perpignan deviendront actionnaires de l’agence à partir d’octobre 1941.

Journaliste honoraire et historien, Gérard Bonet a étudié puis écrit l’histoire de cette agence en s’attachant à montrer l’influence d’Inter-France sur l’opinion entre 1940 et août 1944, date de sa dissolution. Il est une interrogation qui ne cesse de l’interpeller : pourquoi aucun historien avant lui n’a jugé utile de s’intéresser à « la plus vaste opération de propagande au service de la collaboration avec les nazis » ? Explorant à la loupe cet angle mort de l’histoire, Gérard Bonet reconstitue, par un minutieux travail d’archives, un vaste réseau intellectuel et économique qui avait basculé dans l’idéologie de la barbarie. Il démonte dans son livre les mécanismes subtils de la manipulation de l’opinion, une question qui, à l’heure des réseaux sociaux et de la prolifération des fake news, demeure d’une brûlante actualité.

Source : L’agence Inter-France de Pétain à Hitler, par Gérard Bonet. Editions du Félin. 900 pages. 35 euros.

mardi14

Communiste, je porte en moi un parti rêvé qui n’a encore jamais existé et qui n’existera peut-être jamais, mais qui scelle néanmoins l’attachement que je porte à cette entité souveraine qui me dépasse. Le Parti, une utopie concrète dans le sens que lui donna Ernst Bloch pour qui les rêves utopiques sont intégrés dans le mouvement historique réel… ou ne sont pas (Le principe d’espérance, 1954). 

lundi13

Jeux d’ombres en façade – Carcassonne

Prenant la photographie, il aperçut son ombre mêlée aux branches noueuses de mélancolie. Il se demanda si là était sa façon d’être au monde.