François (Charles ?) Dieupart vécut à Londres où il acquit une grande renommée comme professeur de musique et virtuose. Admettons qu’il soit né en 1667. Admettons qu’il ait été déclaré mort en 1740. Ni sa date de naissance ni celle de sa mort ne sont établies avec certitude. Pas plus que son prénom. Les érudits hésitent. Il se prénommait vraisemblablement François. Le prénom de Charles – sous lequel certains documents le désignent – lui aurait été attribué par erreur.
Son nom même est sujet à caution. Un document de 1724 le désigne « Capt. Dupar », violoniste « élève de feu le célèbre Signor Corelli ». Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’Italie musicale rayonne.
De ce compositeur, nous ne connaissons guère que la musique. Quelques pages. François Dieupart était claveciniste et violoniste. Non dénué de talent, dit-on.
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Dieupart fils (c’est ainsi que plusieurs documents d’époque le désignent) est l’auteur d’un recueil de six suites pour le clavessin publié en 1701 chez Estienne Roger à Amsterdam en deux versions, l’une pour clavecin solo et l’autre pour dessus et basse continue. Pour la « mise en concert », l’édition suggère un effectif instrumental composé d’un « violon et d’une flûte avec une basse de viole et un archilut ». En 1705, une nouvelle version pour flûte et basse continue paraîtra chez John Walsh à Londres.
Un vendredi de 1702 ou 1703, il donne ses suites « en concert » au Théâtre de Little Lincolns Inn Fields. Le 11 février 1703 à Drury Lane, il accompagne le violoniste Gaspardo Visconti dans des sonates de Corelli. Il a aussi collaboré à de nombreux opéras donnés dans ce même Drury Lane, un théâtre de Londres situé dans le quartier de Covent Garden.
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Ce théâtre construit en 1663 fut détruit par un incendie le 25 janvier 1672. Il fut reconstruit et inauguré le 26 mars 1674 devant deux mille spectateurs. Le nouveau théâtre de Drury Lane accueillit des spectacles pendant cent-vingt ans avant de connaître une nouvelle démolition en 1791. C’est le deuxième théâtre, celui de 1674, que connut Dieupart. S’est-il réjoui des progrès accomplis dans le nouveau bâtiment, plus prestigieux que le précédant ? Dans son journal, Samuel Pepys note que la musique y était inaudible. Elle « résonnait sous la scène, nous n’entendions pas du tout les basses, les aigus non plus ». Le député diariste réclamait que l’on remédiât à ce défaut.
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En janvier 1708, il écrit au vice-chambellan Thomas Cocke pour se plaindre de factures non payées concernant la première représentation de son œuvre lyrique Thomyris, Queen of Scythia à Drury Lane. Elle est signée F. Dieupart, confirmant l’hypothèse du prénom François alors qu’à la même époque, en société, il se fait appeler Charles.
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Très actif dans le monde lyrique, on retrouve Dieupart à la création du Queen’s Theatre de Haymarket. On l’entend aussi toucher son clavecin aux Yorks buildings dans les années 1711-1712. Sa dernière apparition publique à Londres a lieu le 11 septembre 1734. Sur le programme, son nom est orthographié Du Par. En 1735, il rentre en France.
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Clavecin. Château de Villandry, Pays de Loire.
6 septembre 2017
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Les suites de Dieupart ont connu un succès considérable dès leur publication. Signe d’engouement du public, elles figurent parmi les œuvres les plus copiées de l’époque. Beaucoup de ces copies sont conservées dans des fonds d’archives. La plus célèbre est celle de Jean-Sébastien Bach qui ne se contente pas de recopier benoîtement ce qu’il lit. Il apporte quelques changements à la partition et présente les suites dans un autre ordre que celui adopté dans l’édition originale.
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Dans ses compositions, Dieupart innove. Il bouscule le schéma classique de son temps. Toutes ses suites débutent par une ouverture à la française, selon la forme « canonisée » par Lully dans ses opéras.
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Bach devait tenir particulièrement à sa copie. Alors que beaucoup de ses travaux d’études sont perdus, il conservait celle-ci dans sa bibliothèque privée et la légua plus tard à l’un de ses élèves. C’est la seule copie de la main de Bach qui soit parvenue jusqu’à nous. Les musicologues s’accordent sur le fait que le Cantor de Leipzig s’est inspiré des suites de Dieupart pour composer ses propres Suites anglaises.
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Toute sa vie, Jean-Sébastien Bach a lu et étudié. Il a copié note à note, comme on dirait mot à mot, les écritures de ses contemporains ou de ses aînés. Copier était en ce temps-là une pratique courante et une manière de constituer sa propre bibliothèque.
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Par la lecture, tout commence. Lire, relire, déchiffrer, analyser, décomposer pour mieux (re)composer ensuite… Bach réécrit. Il réinvente. L’on pourrait dire pareillement des mots tout à propos. Migration de mots en notes, de sons en sens. Bach accomplit ce prodige quand il cantate. Rien, jamais, n’est perdu. Rien, jamais, ne vient de nulle part ni ne tombe du ciel. Tout est transformé.
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Sources : Szymon Paczkowski, livret accompagnant l’enregistrement des Suittes (sic) chez Carpe Diem Records ; Marie van Rhijn, livret accompagnant l’enregistrement des Suites pour le label Château de Versailles Spectacles ; Pour le théâtre de Drury Lane, article Wikipedia du 17 novembre 2010 ; Marc Honneger, Dictionnaire de la musique, éditions Bordas, 1970.
Suggestions discographiques : les Suites de Dieupart en version clavecin solo par Huguette Grémy-Chauliac (Pierre Verany) ; en version « mise en concert » par Marie van Rhijn (Château de Versailles Spectacles) ou par Corina Marti et Yizhar Karshon (Carpe Diem). Les Suites anglaises de Bach par Murray Perahia au piano (Sony Music) et par Richard Egarr au clavecin (Harmonia Mundi).
20 avril 2022–7-9 février 2023