Un livre. Qui se lirait comme on écoute une chanson dont les mots se glisseraient sous la peau, là où frémissent les sentiments au contact subreptice des corps. Un livre. Dont il ne serait pas nécessaire, pour en faire partager le bonheur de lecture, d’en raconter l’histoire, juste ce qu’il faut de singularité en elle pour la tenir tout contre soi et, de cette manière humble, complice, la faire sienne, dormir avec, en retenir les ombres sur les murs gris d’une ville qui aurait perdu jusqu’à son nom.
Par les routes de Sylvain Prudhomme est un livre baigné d’une écriture qui a décidé de prendre son temps et s’emploie à lever le voile des apparences pour écouter les cœurs battre, les respirations hésiter. Un livre. Musical et qui réussit à dire « l’impermanence des choses en ce bas monde »
et partant, leur fragilité.
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…une écriture qui a décidé de prendre son temps…
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« J’ai écouté cent fois, mille fois peut-être la chanson Famous Blue Raincoat de Leonard Cohen, sa chanson la plus triste, la plus belle, en forme de lettre écrite au milieu de la nuit, fin décembre, à un ancien ami. Il est 4 heures du matin à new York, la ville dort alentour et Cohen demande à l’ancien ami des nouvelles. Veut savoir s’il va bien. Il lui dit qu’il repense à la nuit où Jane et lui ont failli partir ensemble. Il l’appelle son bourreau, son frère. Il lui dit qu’il lui pardonne. Il le remercie pour ce que lui et Jane ont vécu. Et il lui fait cette déclaration dont je ne pense pas que beaucoup de poèmes l’égalent en beauté, en justesse, en conscience de l’impermanence des choses ce bas monde : Je suis heureux que tu te sois trouvé sur ma route. »
Sylvain Prudhomme, Par les routes, L’arbalète Gallimard
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Famous Blue Raincoat est le titre d’une chanson de Leonard Cohen. Elle est la sixième piste de son troisième album, Songs of Love and Hate, produit en 1971. C’est une lettre adressée par l’auteur à un ami dont nous ne connaîtrons jamais le nom. Il est quatre heures du matin à New York par une nuit d’hiver, il y a de la musique sur Clinton Street, il fait froid dans le Lower East Side & celui qui écrit se demande si son ami va mieux. Cet ami a l’air d’être un voyageur, quelqu’un qui a décidé de partir sur les routes, se construire un ailleurs, une petite maison tout au fond du désert ou quelque chose comme ça. L’histoire se déroule, banale
en somme, une mèche de cheveux entre les mains d’une femme, un imperméable déchiré à l’épaule & cet ami qui traverse la chanson comme un souvenir ou l’ombre d’un souvenir & que l’auteur remercie d’avoir changé quelque chose dans sa vie, peut-être lui avoir offert la possibilité d’un nouveau départ mais deux vers traversent le texte : You’re living for nothing now / I hope you’re keeping some kind of record. Tu vis pour rien maintenant / J’espère que tu gardes quelques souvenirs. Ils sont la brèche du poétique dans le récit. Une énigme se cache dans les plis d’un manteau bleu & une question :
Peut-on vivre longtemps pour rien au fond du désert ?
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s’arrête devant
pour calmer sa douleur compte les feuilles du lierre & note sur un carnet les progrès de la plante
pas la force de se munir d’une serpe pour tuer l’herbe sauvage
indifférente à la ruine
assiste impuissant à son effacement
sa démolition patiente & méthodique
c’est en ce bas monde la loi du temps
n’a plus qu’à se terrer en silence
s’abstraire
les jardins sont de broussailles & les chemins
20 janvier 2020-20 janvier 2021