Aubes navrantes

Se donner aux mots qui ravinent. Tendre une main. Sentir entre ses doigts couler les lettres. Boire à l’écume des conjonctions, bercé par le clapotis de syllabes. 

Propositions incestueuses, un torrent de relatives adossées à la principale, majestueuse et lente, innervée de blessures 

Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise

si ce n’était déjà Rimbaud 

par un brouillard d’après-midi tiède et vert

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Il était là, au premier jour. Je bus adolescent à sa gourde de colocase. Je venais de traverser, mains nues, la nuit irrésistible de Baudelaire

Noire, humide, funeste et pleine de frissons

Je me savais dormir au bord de marécages et froisser de mes pieds des crapauds imprévus

Je n’en suis jamais revenu. Les pores de ma peau vivent de sécheresse.

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La Meuse à Charleville
22 novembre 2017

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Pascal Pia sur la mort de Baudelaire : « A quarante-six ans, son impotence, ses traits creusés, ses cheveux blancs lui donnent l’air d’un vieillard. Quand le 31 août 1867, la mort vient le prendre dans une maison de santé du quartier de Chaillot, on peut dire qu’elle libère un condamné ». 

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L’Autre « je », adolescent à Charleville, avait vu des archipels sidéraux et des cieux délirants. C’était écrit. Je le crus sur parole. Les aubes sont navrantes et le soleil amer. 

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Sources : Rimbaud, Larme et Le Bateau ivre, Poésies complètes, Garnier-Flammarion ; Baudelaire, Le coucher de soleil romantique, Les Fleurs du Mal, édition Bibliothèque de la Pléiade ; Pascal Pia, Baudelaire par lui-même, éditions du Seuil, collection Ecrivains de toujours.

2 mars-17 août 2020-10 mars 2021