Catégorie : Journal

Le journal de mai 2023

Le yiddish, un autographe & le négatif invisible

mardi30mai

Le Choc, film de Robin Davis avec Alain Delon et Catherine Deneuve sort en salle en 1982. Il s’agit d’une adaptation du roman de Jean-Patrick Manchette, La position du tireur couché, paru l’année précédente dans la Série Noire

A plusieurs reprises dans des entretiens qu’il accorde à la presse, Jean-Patrick  Manchette raconte qu’Alain Delon s’est porté lui-même acquéreur des droits avant la sortie du livre. « Delon a acheté La position du tireur couché sur manuscrit, ce qui est une très bonne chose pour moi. Je vais pouvoir vivre à l’aise pendant six ou dix mois, travailler tranquille à un nouveau bouquin », confie-t-il à Hervé Prudon. 

Les Cahiers du cinéma ont taquiné Jean-Patrick Manchette – le situationniste – sur sa prétendue complicité avec Alain Delon. « C’est ridicule… », se défend-il dans La Revue du cinéma où il raconte comment les droits du Petit bleu de la côte  Ouest d’abord vendus à la SFP pour Philippe Labro ont fini par tomber dans l’escarcelle de l’acteur-vedette. « J’ai reçu un petit mot d’une secrétaire me demandant de signer une lettre d’accord pour la transaction. Voilà la totalité de mes contacts avec Delon, sur l’ensemble des films. Je n’ai même pas un autographe de lui, que je pourrais revendre pour assurer mes vieux jours ».  

Source : Jean-Patrick Manchette, Derrière les lignes ennemies, entretiens 1973-1993, La Table Ronde. 

lundi29mai

sphérique # 1

Pour Jacques Roubaud, le jour est la base cylindrique du temps. Le jour, dit-il, est notre premier repère, la boussole qui nous guide dans l’espace-temps. 

dimanche28mai

Il vient de s’écouler un temps profond. Tout ce qui apparaît va disparaître. Vieux comme mauvais jours.

jeudi25mai

Après « ensauvagement », « décivilisation » : en panne d’un lexique qui traduirait une analyse sérieuse et approfondie des fractures de la société, la macronie use d’un vocabulaire ambigu très prisé des émules de Renaud Camus et des droites extrêmes. Plus ils disent avancer, plus on s’approche du précipice.

vendredi19mai

Léo Ferré : « Les gens il ne conviendrait de les connaître que disponibles à certaines heures pâles de la nuit près d’une machine à sous avec des problèmes d’homme simplement avec des problèmes de mélancolie alors on boit un verre en regardant loin derrière la glace du comptoir et l’on se dit qu’il est bien tard… ».

lundi15mai

Je me sens au bas mot. Je sais que de ce jour il ne faut rien attendre.

dimanche14mai

Au journaliste qui pointe le souci du détail dans ses romans, jusqu’aux mentions très précises de marques commerciales – par exemple : « allumer une cigarette avec un briquet Laurimette offert par Mazda » ou « Boire un verre de Four Roses » ou encore « Descendre un quidam au MR 73 », Jean-Patrick Manchette répond : « Ça, c’est la dictature de la marchandise (…). Cette dictature qui tue le temps et a fait disparaître l’humanité. Si je publie qu’un porteur de Manhurin tire un projectile de 8 mm dans le foie d’un buveur de bouillon Kub vêtu de Tergal, ça évoque des choses réelles, des apparences familières. Si je dis que Pierre tue Paul, ça n’évoque rien, rien n’apparaît, ça n’existe pas. L’espèce humaine a entièrement disparu. C’est une très bonne chose, car elle n’a pas cessé d’exister, en fait. Elle est devenue le négatif invisible, à l’intérieur de l’apparence marchande, qui est totalement triomphante en apparence. (…) Disons, pour en revenir à la particularité cinématographique, que tout ce qui apparaît mérite de disparaître, et va le faire très bientôt, notamment le cinéma va être supprimé, ce qui sera un soulagement, en tout cas ce sera plus marrant que l’espèce d’ennuyeuse agonie qu’il traîne depuis vingt ou trente ans ».

Source : entretien pour la revue Cinématographe, décembre 1980, in : Manchette, Derrière les lignes ennemies, entretiens 1973-1993, La Table Ronde.

samedi13mai

En 2018, Ruth Zylberman réalisait pour Arte le documentaire Les enfants du 209 rue Saint-Maur dont elle fit un livre, 209 rue Saint-Maur, publié deux ans plus tard au Seuil. J’en relis régulièrement des pages tant cette écriture m’aimante. 

209 rue Saint-Maur – Paris (10e) – 11 octobre 2022.

Dire les figures familières d’une enfance. Trajectoires heurtées. Migrations. Exil. Peur. Nostalgies. Cela seule une langue maternelle le peut, « langue naturelle du cœur ». 

Ici, le yiddish. 

« Faïvel m’a fait asseoir dans sa petite cuisine éclairée au néon où, sur une petite table recouverte comme il se doit d’une nappe cirée, étaient posés quelques papiers, quelques livres et un journal en yiddish déplié. Je crois que Philippe/Faïvel, qui devait alors avoir dans les 95 ans, était probablement l’un des derniers lecteurs parisiens d’un journal yiddish. Je ne parle pas des jeunes gens assez nombreux qui aujourd’hui lisent et parlent le yiddish au terme d’études tout à fait académiques et sérieuses. Non ! Je parle de ceux pour qui le yiddish était la langue maternelle, la langue naturelle du cœur et de l’actualité, ceux qui se sont progressivement éteints dans le courant des années 1990. Ceux dont j’ai autrefois entendu l’accent comme une évidence : chez mes grands-mères, au café le Thermomètre, aujourd’hui disparu, place de la République, sur les bancs du jardin public devant la mairie du IIIe, dans les films merveilleux du cinéaste Emmanuel Finkiel. Survivants d’un monde révolu selon l’expression consacrée, et pourtant figures familières de mon enfance dont la langue, l’accent me permettaient de mesurer (…) le miracle qu’était ma propre intégration au génie français. Comme si dans la langue, et c’est probablement vrai pour n’importe quelle population immigrée, se réfugiaient tous les indices de trajectoires familiales heurtées, de l’exil à l’assimilation ; comme si dans la langue, avec ou sans accent, se blottissaient aussi toutes les peurs, les hontes et les nostalgies ». 

En reconstituant les vies de locataires d’un immeuble du Xe arrondissement de Paris, en offrant à ces vivants lointains ou disparus un abri les protégeant de l’oubli, Ruth Zylberman tisse des liens entre générations en même temps qu’elle interroge des traces. Dans son livre-enquête, les couloirs, escaliers, appartements le plus souvent réduits à une pièce unique, gardent mémoire de familles, les murs, les portes, conservent la trace des mains qui les ont touchés. Ruth Zylberman relève leurs empreintes, recueille l’écho de voix qui se sont tues. Voix enfouies qu’une langue soulève. Les mots se souviennent. Ils parlent une langue d’interstices, de mémoires et de visages flous. Une langue où dominent le bleu, le vert et le vertige des destinées. La langue naturelle du cœur et de l’actualité.

Source : Ruth Zylberman, 209 rue Saint-Maur Paris X, autobiographie d’un immeuble, Seuil Arte éditions.

mercredi10mai

Quelqu’un survivra-t-il à ces nuits faméliques 
Où tu te couchais nue sous des velours épais
Des dames épanies (1) buvaient à ma détresse
Je n’avais de futur que leurs lèvres fleuries
(…)
Les âmes égarées en des temps alanguis
Dédient leurs jours anciens aux jouvences nouvelles
Rien ne paraîtra plus au jour que l’infini
Rien ne paraîtra plus que leur désir rebelle

(1) Forme ancienne pour « épanouies » que l’on trouve chez Ronsard : « Je vous envoie un bouquet que ma main / Vient de trier de ces fleurs épanies… »

lundi8mai

L’Indépendant du jour rapporte qu’une équipe du Centre national de la recherche scientifique et une restauratrice ont été dépêchées au chevet de plusieurs toiles de Pierre Soulages conservées au musée des Abattoirs de Toulouse. « Parfois, des empâtements suinte une goutte de liant, qui est de l’huile », indique Pauline Hélou de la Grandière. 

Selon les premières investigations, le phénomène touche des toiles réalisées par l’artiste, dans son atelier parisien, entre décembre 1959 et mars 1960. Ces coulures qui ne font pas partie de la composition originale altèrent les œuvres d’une période charnière dans l’histoire de l’art, celle où peu à peu s’impose l’abstraction française. 

Les spécialistes confrontés au sauvetage de ces toiles assurent qu’il ne s’agit pas d’un problème de séchage au moment de la réalisation. « C’est un problème de vieillissement. La peinture redevient fluide et s’écoule ».

Quand bien même ces rides se creuseraient encore, ne seraient-elles pas la promesse de l’œuvre à l’œuvre en son corps vieillissant ? Le signe de la petite mort à côté de laquelle, main dans la main, nous marchons. 

samedi6mai

Le Monde annonce la mort de Philippe Sollers survenue hier. Il sera inhumé dans la stricte intimité familiale à Ars-en-Ré. 

Paysage – Ile de Ré – février 2019.

« …il sortit par la grande porte qui pourtant était close et sachez que personne ne le revit plus mais à peine eut-il disparu un coup de tonnerre éclata puis un rayon de soleil traversa les verrières faisant tout paraître deux fois plus clair dans la salle ceux qui étaient là furent illuminés… »

On ne s’installe pas confortablement dans la lecture de Philippe Sollers. On entre ou pas dans Paradis mais si l’on en surmonte les premiers obstacles, on s’enchaîne alors à l’ardeur de la phrase, sa cadence aussi nerveuse qu’un concerto de Mozart, on boit aux fontaines d’une culture vaste comme un océan tempétueux. L’écriture de Philippe Sollers bouscule, déconcerte, agace autant qu’elle envoûte. Elle attire comme un a(i)mant. Jamais elle ne se dérobe à l’exigence du lecteur. C’est une écriture de la volée, des boudoirs, des bois verts et des ombres. 

Dans la page nécrologique que lui consacre Le Monde, Philippe Forest voit dans Paradis (Seuil, 1981) « l’un des grands livres de la littérature française de la seconde moitié du siècle passé : texte total déroulant le long ruban d’une écriture sans ponctuation, proposant de notre présent une vision à la fois poétique et prophétique d’une singulière puissance ». 

Elisabeth Roudinesco met en ligne un texte dans lequel elle salue à son tour l’avant-gardiste créateur des revues Tel Quel et L’Infini : « De son amitié avec Georges Bataille et Roland Barthes à ses interventions dans les débats sur le rôle des avant-gardes, il aura été de ceux qui abordaient, dans toutes ses dimensions, la question de l’écriture. Aussi a-t-il dialogué avec les penseurs et écrivains français les plus importants de son époque : Louis Aragon, Michel Foucault, Jacques Derrida, Jacques Lacan, notamment. Il publiait ce qu’il aimait, au-delà des clivages et il a toujours manifesté une sainte horreur envers ce qu’il appelait la boue de l’occultisme. D’où son amour, non négociable, de l’œuvre de Freud ». 

Enfin, Forest comme Roudinesco rappellent l’article La France moisie publié dans Le Monde en 1999 et qui résonna en son temps comme un coup de tonnerre.  Sollers y fustige « la bêtise française sans équivalent » et cette « France moisie » qui « a toujours détesté, pêle-mêle, les Allemands, les Anglais, les Juifs, les Arabes, les étrangers en général, l’art moderne, les intellectuels coupeurs de cheveux en quatre, les femmes trop indépendantes ou qui pensent, les ouvriers non encadrés, et, finalement, la liberté sous toutes ses formes ». 

Les jours mauvais des détracteurs de Philippe Sollers commencent. Trouveront-ils jusque dans sa disparition quelque raison ultime d’attiser leur haine ? Il en est une mais elle se dérobe à leurs flèches empoisonnées : Philippe Sollers, le plus puissant des libertins depuis le Marquis de Sade, est inadmissible. Inadmissible, comme la poésie. 

vendredi5mai

Même à bout de sons, Manu Dibango rit. Parle de musique angolaise. Du Congo. Se dit musicien d’origine camerounaise, oui, mais non camerounais. Citoyen du monde. « J’ai, comme une tortue, ma maison sur mon dos ». Manu Dibango est mort le 20 mars 2020 à l’hôpital de Melun, victime de l’épidémie de Covid-19. C’était un mauvais jour. 

mercredi3mai

Dans A la recherche du temps perdu, Marcel Proust tisse des liens entre littérature et musique. Frédéric Chopin est l’un de ses compositeurs préférés. Voici en quels termes choisis il évoque son art dès le chapitre II de Combray

« Le pianiste ayant terminé le morceau de Liszt et ayant commencé un prélude de Chopin, Mme de Cambremer lança à Mme de Franquetot un sourire attendri de satisfaction compétente et d’allusion au passé. Elle avait appris dans sa jeunesse à caresser les phrases, au long col sinueux et démesuré, de Chopin, si libres, si flexibles, si tactiles, qui commencent à chercher et essayer leur place en dehors et bien loin de la direction de leur départ, bien loin du point où on avait pu espérer qu’attendrait leur attouchement, et qui ne se jouent dans cet écart de fantaisie que pour revenir plus délibérément – d’un retour plus prémédité, avec plus de précision, comme sur un cristal qui résonnerait jusqu’à faire crier – vous frapper au cœur ».

lundi1ermai

La démocratie en deuil – Place de la Victoire – Perpignan.

Le Premier mai est bien plus qu’une date symbolique. Il y eut une fête du travail pendant la Révolution française, à l’instigation de Saint-Just qui la fixa au 1er pluviose – 20 janvier – 1793. Peu de temps après, elle disparut d’un calendrier ayant vu s’évaporer ses rêves révolutionnaires. Presque un siècle plus tard, il faut regarder en direction des Etats-Unis pour voir émerger un vaste mouvement populaire dont la principale revendication est la réduction à huit heures de la journée de travail. Les syndicats ouvriers américains réunis en congrès en 1884 choisissent le 1er mai pour lancer leur action dont le point culminant sera une grève générale le 1er mai 1886. Cette journée marque durablement l’histoire mondiale du mouvement ouvrier. En France, sous l’impulsion de Jules Guesde, le principe d’une journée internationale des travailleurs est acté le 20 juillet 1889, lors de la réunion à Paris de la IIe Internationale. La revendication est alors la même qu’outre-Atlantique : la réduction à huit heures de la journée de travail, soit quarante-huit heures hebdomadaires puisqu’à cette époque, on travaille six jours sur sept. 

S’inscrivant dans cette longue histoire des luttes, l’intersyndicale et, à ses côtés, les organisations politiques progressistes, réclament aujourd’hui d’une même voix le retrait d’une loi injuste qui ne fera, dans son application la plus sévère, qu’ajouter de la souffrance à la souffrance déjà-là de milliers de salarié.e.s. Une loi à contre-courant au moment où il faudrait repenser le rapport au travail dans ses dimensions économique, sociale et environnementale. Et plus encore, extirper le travail des griffes du capitalisme pour rendre le pouvoir aux travailleurs non seulement sur leur outil de travail mais aussi sur les richesses produites. Là est la promesse d’un renouveau du projet communiste.

Le journal d’avril 2023

Cahier bleu, premier matin & Résistances

samedi29

S’approcher un peu chaque soir du mystère des langues.

Pause poétique – Exposition photographique de Jaume Saïs – Espace des arts du Boulou.

Rendez-vous avec le bruissant. Nous sommes quelques-uns, à la tombée du jour, autour de Jaume Saïs pour le finissage de son exposition photographique à l’Espace des arts du Boulou. On y entend des voix poétiques qui toutes explorent des confins. André Robèr lit un poème ad libitum, Didier Manyach des extraits de son dernier recueil, La semence des racines, aux éditions Paraules. « Tout brûle & s’annule dans un lit de fougères ». On y entend les voix si rares d’Edouard Jean Maunik et d’Alain Borne. 

Pere Figueres nous fait l’heureuse surprise de ses chansons. De son dernier disque, Vora vosaltres, la magnifique Vine amb mi. « Vine amb mi / i per la passejada / potser farem estada / a la vora del cami » (Viens avec moi / et en nous promenant / si tu veux nous ferons une pause / au bord du chemin). 

Ces moments partagés de pauses poétiques – de pauésie – si loin des confusions du temps, je les ressens toujours comme un premier matin.

(A lire aussi : Cinq poèmes d’Alain Borne dans l’Anthologie / L’exposition Rendez-vous avec le bruissant dans le Note-Book)

vendredi28 

Le 15 novembre 1924, Joe Bousquet force les portes de la littérature. Dans un cahier, il écrit : « Ce cahier bleu ne doit me servir qu’à transporter véritablement mes pensées sous mon regard (…) La condition de sa qualité, c’est qu’il soit voué aux flammes. » Bousquet, comme Kafka, pensait-il brûler les cahiers dans lesquels il allait chaque jour, chaque nuit, porter ses pensées sous son regard ? Quelques lignes plus loin, il s’interroge : « Tout ce que j’y publierai ne sera-t-il pas illisible ? ». 

En 1924, Joe Bousquet n’a encore rien publié. Son premier texte consacré au poète François-Paul Alibert ne paraîtra qu’en octobre 1925 dans la Nouvelle Revue du Midi

En 1924, Joe Bousquet lutte contre une paralysie que les médecins ne pensent pas encore irréversible. Croit-il en sa guérison ? A 22 ans, il façonne l’écrivain qu’il va devenir. Mais, déjà là, dans le cahier bleu : son écriture à nulle autre pareille. Une écriture au bord du lisible. 

mardi25

J’écoute la musique comme je lis, par affinités électives, disques et livres dont les conversations secrètes dessinent un chemin. J’aime ces ponts imaginaires, ces liens que tissent l’intelligence et la sensibilité des écritures. Ces correspondances, pour le dire avec le mot de Baudelaire. 

Ce matin, par un de ces enchaînements enchanteurs, je découvre le compositeur allemand Robert Franz (1815-1892). La fiche Wikipedia de ce musicien est squelettique. J’y apprends que sa vocation suscite l’hostilité familiale. Qu’il devient sourd à 26 ans (c’est un an plus tôt que Beethoven). Que des désordres nerveux entravent sa carrière. Qu’il a malgré tout composé une quantité significative de lieder.

Le 21 septembre 1992 à l’observatoire Karl-Schwarzshild de Tautenburg, charmant bourg de Thuringe situé à une dizaine de kilomètres d’Iéna, deux astronomes allemands, Freimut Börngen et Lutz Dieter Schmadel, découvrent un astéroïde dans la région du Système solaire située entre les orbites de Mars et Jupiter, connue des spécialistes sous le nom de ceinture principale. Cet objet céleste dont l’orbite se caractérise par un demi-grand axe de 3,00 UA, une excentricité de 0,06 et une inclinaison de 10,9° par rapport à l’écliptique, a été baptisé (10116)Robertfranz en l’honneur du compositeur. 

Désormais, quand je regarderai le ciel… 

vendredi21

La « robe » de détenue de Louisette Carreras, résistante perpignanaise déportée à Ravensbrück.

Préfecture des Pyrénées-Orientales
Quai Sadi Carnot – Perpignan

Francine Sabaté était employée à la préfecture des Pyrénées-Orientales. Son engagement politique au Parti communiste, elle le vit en famille avec sa mère Joséphine et sa sœur Odette. Dès 1936, les trois femmes prennent fait et cause pour les Républicains espagnols.

Au printemps 1939, c’est la tragédie de la Retirada. Quelques mois plus tard, un décret-loi interdit le Parti communiste français. S’ouvre une longue période de travail clandestin. Pour Francine à la préfecture. Pour Odette au central téléphonique de la Poste. Le foyer familial devient un refuge pour les guérilleros espagnols et ceux qui ont combattu à leurs côtés. Puis arrivent les premiers résistants fuyant la répression allemande, les pilotes anglais tentant de regagner leurs unités via l’Espagne…

Francine fabrique de faux-papiers grâce à des tampons et documents officiels  subtilisés à la préfecture. Chez les Sabaté, on tire aussi des tracts. On met la main à l’édition clandestine du Travailleur Catalan, l’hebdomadaire des communistes des Pyrénées-Orientales. A partir de fin 1942, les trois femmes entrent dans la lutte armée.

Le 15 juin 1943, Joséphine, Odette et Francine sont arrêtées par la section spéciale de la police de Vichy. Odette s’évade et continuera le combat jusqu’à la Libération. Francine et sa mère sont jugées le 31 janvier 1944 à Montpellier. Emprisonnées d’abord à Perpignan puis successivement à Montpellier, Pau, Lyon et Chalons-sur-Saône, elles sont internées au fort de Romainville avant d’être livrées à la Gestapo. Le sinistre voyage se termine le 14 mai à Ravensbrück. Le 29 mars 1945, Joséphine Sabaté part pour le convoi des « sacrifiées ». Francine est épuisée. Elle meurt à l’âge de 25 ans, le 25 avril 1945, tandis que les troupes soviétiques libèrent le camp.

Pendant l’hommage à Francine Sabaté.

Cet après-midi, à l’initiative de Femmes solidaires 66, des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation et du Préfet des Pyrénées-Orientales, un hommage est rendu à Francine Sabaté dans le hall d’accueil de la préfecture. Une plaque y rappelle l’engagement républicain et antifasciste de cette jeune fonctionnaire réfractaire à l’Etat français et sa collaboration au nazisme. 

jeudi 20 avril

Arte TV diffuse la série documentaire en quatre épisodes de Patrick Rotman intitulée Résistances.

Le propos du documentariste consiste à montrer que la Résistance ne fut pas un bloc monolithique homogène. Il parle donc de Résistances au pluriel. Au commencement, des réseaux disséminés sur tout le territoire national travaillent chacun de leur côté, jusqu’à ce que Jean Moulin entreprenne de fédérer ces entités éparses dont les visées politiques n’étaient pas toujours convergentes, en une seule organisation, le Conseil de la Résistance et sa branche militaire, l’Armée secrète. Rien que ne sache déjà qui s’intéresse tant soit peu à la période.

Pour décrire cette diversité, le réalisateur suit les trajectoires d’acteurs choisis pour la place centrale que certains occupèrent dans les mouvements et pour d’autres, leur dévouement anonyme et désintéressé à la libération de la France. 

Ce dispositif narratif, servi par un remarquable montage de documents d’archives complétés par des dessins d’animation quand il s’agit de faire récit de moments non documentés, aiguise la curiosité. On ressort hélas déçu de ces quatre heures somme toute assez scolaires. Ne prenant appui que sur les événements les plus connus, le film n’entre pas plus avant dans les ressorts intimes qui poussèrent tant de femmes et d’hommes à dire non et ce faisant, apportèrent un démenti cinglant à la fatalité de l’histoire. 

« Unissez-vous dans l’action »

Appel de Charles Tillon
17 juin 1940

(capture d’écran)

Le rôle des communistes est réduit à sa plus maigre expression. On n’échappe pas à la « neutralité bienveillante » du Parti, moins muselé pourtant par le pacte germano-soviétique que par son passage contraint dans la clandestinité après que fût prononcée son interdiction par décret-loi le 26 septembre 1939. On sait aujourd’hui qu’à titre individuel, de nombreux communistes entrèrent en résistance dès les premières heures sans attendre les ordres de personne, encore moins de Moscou. 

Tout aussi décevant de la part d’un documentariste réputé pour la rigueur de ses enquêtes, Patrick Rotman passe sous silence l’appel du 17 juin 1940 rédigé par Charles Tillon sous forme de tract encarté dans des journaux bordelais. « Unissez-vous dans l’action ! », concluait alors sans ambigüité le dirigeant communiste.

Rien non plus sur le rôle des intellectuels et des poètes unis dans la lutte malgré, parfois, leurs divergences politiques : Robert Desnos mort du typhus à Theresienstadt le 8 juin 1945, Louis Aragon et sa « langue d’évasion », Pierre Seghers et sa revue Poésie 40, Max-Pol Fouchet et la revue Fontaine, Paul Eluard et son poème Liberté, Robert Rius et le groupe de La main à plume…

Missak Manoukian – parce que l’Affiche rouge – et le colonel Rol-Tanguy qui dirigea depuis son QG souterrain la libération de Paris, échappent d’un coup d’œil furtif à cette lecture pour le moins superficielle du rôle que joua dans les mouvements de résistance à leurs commencements puis dans la Résistance organisée, le Parti des fusillés.

 

lundi17

20 heures – Rien.

dimanche16

Lu la préface d’Androula Michaël au volume des Poèmes en langue française de Picasso paru au Cherche Midi. 

Lorsqu’il se met à l’écriture en 1935, Picasso, âgé de cinquante quatre ans, traverse une crise. Il commence une nouvelle vie après sa séparation d’avec Olga et se dit « prêt à tout abandonner, la peinture, la sculpture, la gravure et la poésie pour se consacrer entièrement au chant ». 

La poésie, finalement, est plus forte que la tentation du renoncement. Entre 1935 et 1936, l’écriture devient une activité majeure dans le quotidien de l’artiste qui, en pleine « réorientation de son travail plastique », a remisé pour un temps ses pinceaux. Il écrit presque tous les jours. En français et en espagnol. Ses poèmes portent comme titre la date de leur composition. Il y en aura trois cent-cinquante jusqu’en 1959 – pour ceux recensés à ce jour dans des collections diverses. 

Picasso prend très au sérieux cette affaire d’écriture qui, dans une certaine mesure, le sauve. Il accorde un soin particulier à ce travail. Il met au net les esquisses sur un luxueux papier d’Arches, le même qu’il utilise pour ses dessins. Il recopie les poèmes à l’encre de Chine ou aux crayons de couleur. Trait mallarméen : dans la manière de disposer les textes sur la page, il se montre sensible à la spatialité de l’écrit. « Il compose visuellement ».

Son premier poème, Picasso l’écrit en espagnol le 18 avril 1935. C’est un long texte en prose qui commence ainsi : « si yo fuera afuera las fieras vendrian a comer en mis manos y mi cuarto apareceria sino fuera de mi… » (si j’allais dehors les fauves viendraient manger dans ma main et ma chambre n’en apparaîtrait que hors de moi…)

Sources : Picasso, Poèmes, Le Cherche Midi 2005 ; Picasso, Ecrits (1935-1959), Quarto Gallimard 2021. 

samedi15

Au point de rencontre que des camarades et moi-même animions ce matin sur la place de la République à l’heure du marché, cette dame charmante qui m’encourage à ne pas abandonner la lutte et qui dans le même temps me vante à l’oreille les mérites de son veuvage. Elle n’est plus contrainte de faire ni lessive ni vaisselle pour son mari défunt.

vendredi14

Rassemblement devant la Préfecture.


Quai Sadi Carnot – Perpignan

Triple peine infligée ce soir comme une gifle aux opposants à la réforme des retraites. Le Conseil constitutionnel valide le projet de loi, censure les rares articles du texte à caractère un tant soit peu social et rejette l’organisation d’un référendum d’initiative partagée qui aurait donné la parole au peuple bâillonné afin qu’il décide lui-même de son avenir. Puis comme un assommoir : la loi est promulguée dans les heures qui suivent la décision des « Sages ». La violence d’Etat ne se connaît plus de limite.  

jeudi 13

Après une interruption de plusieurs mois, la tournée mondiale Rough and Rowdy Ways de Bob Dylan se poursuit au Japon. Ordinairement, il ne change rien à sa setlist. Le concert est rôdé et ne varie pas d’un iota. Mais à Tokyo hier soir, à la surprise générale, il a dérogé à la règle en interprétant la chanson Truckin’, clin d’œil au groupe Greateful Dead avec qui Dylan avait effectué une tournée en 1987 et enregistré un album deux ans plus tard. Tout de suite, la « dylanosphère » s’agite et questionne le sens de l’insertion de ce titre dans un set ne souffrant jusqu’ici aucune dérogation. 

Composée par Jerry Garcia, Bob Weir et Phil Lesh sur des paroles de Robert Hunter, Truckin’ clôt American Beauty, l’album culte de Greateful Dead sorti en 1970. Elle a été classée trésor national en 1997 par la United States Library of Congress. 

La chanson raconte un improbable road trip passant par New York, Chicago, Detroit, Dallas, Houston et Buffalo, sur fond de livraison de drogue dans un hôtel de New Orleans. Elle est célèbre pour son vers devenu un classique : « What a long strange trip it’s been » (Quel long et étrange voyage cela a été). « Une idée qui parle à tout le monde », écrit Dylan qui consacre un chapitre à Truckin’ dans son livre Philosophie de la chanson moderne. « Les paroles se télescopent mais le sens reste clair », acquiesce-t-il. « Celui qui chante ici, parle et agit comme celui qu’il est, pas comme les autres voudraient qu’il le fasse ». Très dylanien, au fond.

M’intrigue tout de même ce mystérieux personnage, do-dah man, dont il est question au début de la chanson et que je ne quitte pas des yeux tant il me semble l’avoir déjà croisé. Un sosie du Mister Jones de Ballad of a thin man

Source : Bob Dylan, Philosophie de la chanson moderne, Fayard (2022).

Manifestation contre la réforme des retraites

Place des Victoires – Perpignan

Moins de monde que d’habitude à la manifestation de ce matin. On ne peut pourtant pas dire que la détermination faiblit. Chacun est suspendu à la décision que doit prendre demain le Conseil constitutionnel. Validera-t-il le projet de loi non votée au Parlement ? La censurera-t-il ? Donnera-t-il son feu vert au référendum d’initiative partagée ? Une certaine lassitude est palpable dans le cortège. Pas désabusés les opposants mais meurtris par la violence de cette lutte. Violence de la réforme elle-même. Violence de la manière dont elle a été portée devant les députés et les sénateurs. Violence du processus parlementaire dévoyé, du débat tronqué, du mépris des syndicats et du peuple clamant son refus depuis trois mois maintenant, violence des gaz lacrymogène, des tirs de LBD, des Brav-M. La violence règne partout dans l’espace public. C’est la méthode ultime de l’Etat libéral pour imposer ses diktats. La République vacille sur ses bases démocratiques. Et cette sourde inquiétude qui monte : l’extrême-droite de plus en plus proche du pouvoir. 

Rien pourtant n’est inexorable. Il n’y a pas de fatalité dans l’histoire. 

mercredi12

Signé ce matin l’appel de soutien à la Ligue des droits de l’homme lancé par L’Humanité après la menace brandie par le ministre de l’Intérieur à son encontre. Je reprends ici la phrase prononcée par Robert Badinter lors d’une conférence donnée à Strasbourg sur La France et la Cour européenne des Droits de l’Homme : « Lorsque la France se targue d’être le pays des droits de l’homme, c’est une figure de style. Elle est la patrie de la déclaration des droits de l’homme, aller plus loin relève de la cécité historique ».   

vendredi7

Procession de la Sanch

Rue de la Barre – Perpignan

Le plus cocasse, dans la procession de la Sanch qui avait lieu cet après-midi et sur le passage de laquelle le piéton ordinaire se retrouve malgré lui projeté plusieurs siècles en arrière, est la colère de cette jeune femme coincée dans les ralentissements provoqués par le cortège et les badauds qui l’accompagnent, s’en prenant à ces manifestants contre la réforme des retraites qui décidément l’excèdent, elle qui bien sûr travaille et doit penser qu’elle est la seule à se lever chaque jour à cinq heures pendant que tous ces « fainéants de fonctionnaires » (sic) prennent un malin plaisir à la freiner dans sa marche. 

jeudi6

Ce titre à la Une du Monde daté de demain : « Manifestations : Gérald Darmanin menace de couper les subventions à la LDH ».

Chaque jour, l’atmosphère devient ici un peu plus irrespirable. Dans quel pays vivons-nous ?

mardi4

De retour à ma table de travail, « table de peine » si je parlais comme Pierre Bergounioux dans ses Carnets de notes (éditions Verdier). Ecrire est difficile. Douloureux, pour Kafka qui s’efforce un peu plus chaque nuit d’en découdre avec les pages de son journal. 

Le cours des choses peut surprendre.

« Je me voyais me voir… » – Rive de la Têt – Avenue Torcatis à Perpignan.

Tout au long de sa vie d’écriture dont l’essentiel se déroula au secret de ses cahiers, Paul Valéry a dû faire face aux attaques de ses contemporains, plus virulentes au rythme croissant de sa notoriété, de sa réception à l’Académie française à son entrée au Collège de France pour y prononcer un Cours de Poétique longtemps demeuré objet de spéculations et que le professeur de littérature comparée William Marx, lui-même titulaire d’une chaire dans cet établissement prestigieux, vient de rendre à sa réalité avec l’édition des matériaux retrouvés de cet enseignement longtemps mal connu. 

Louis Aragon n’a pas eu de mots assez durs contre la poésie de Paul Valéry dans son Traité du style paru en 1928. Il en avait été pourtant un fervent admirateur aux côtés d’André Breton – dont, pour la petite histoire, Valéry fut le témoin de mariage – dans les tout premiers temps du surréalisme. 

« … le vocabulaire abstrait de cet auteur cache surtout une escroquerie préméditée qui a réussi… », accuse Aragon qui se force à ne voir qu’un « truc » dans la célèbre formule de La Jeune Parque : « Je me voyais me voir… » Cette rupture brutale entre les surréalistes et Valéry n’est guère surprenante dans une époque de table rase littéraire où l’auteur du Cimetière marin s’offrait au sacrifice dans le rôle idéal des statues que l’on déboulonne. Pour le dire avec les mots choisis de William Marx : pour toute une génération nouvelle d’écrivains et de poètes qui se donnent alors pour tâche de changer le monde, « Valéry représente une idée de la littérature que l’on veut remplacer ». Dans le cas d’Aragon, il s’agit littéralement d’abattre. Pas de (beaux) quartiers !

« André Gide n’est ni un palefrenier ni un clown : mais un emmerdeur », lit-on dès les premières pages du Traité du style. Le reste à l’avenant. Ou presque. Parce que tout de même, ce livre provocateur ne se réduit pas aux flèches qui font mouche. On y trouve aussi de ces fulgurances qui feront d’Aragon sans conteste l’une des voix majeures de la poésie du XXe siècle. 

Sans conteste n’est peut-être pas le mot juste. J’ai côtoyé dans ma jeunesse journalistique un collègue dont j’avais découvert au hasard d’une conversation littéraire qu’il détestait Aragon. Le seul fait de prononcer son nom le mettait dans un état de fureur indescriptible au point qu’au sein de la rédaction, parler d’Aragon pour déclencher son ire était devenu un jeu. Moi qui brandissais alors Le Musée Grévin comme l’acmé de la poésie de langue française, je ne pouvais trop en vouloir à mon vieux camarade et pour cause : mélomane, il considérait le pianiste Yves Nat, de manière là encore quelque peu radicale, comme le seul interprète digne des monumentales sonates de Beethoven. Ce avec quoi j’étais alors assez d’accord.

« Oui, je lis. J’ai ce ridicule. J’aime les beaux poèmes, les vers bouleversants, et tout l’au-delà de ces vers. Je suis comme pas un sensible à ces pauvres mots merveilleux laissés dans notre nuit par quelques hommes que je n’ai pas connus. J’aime la poésie ».

Sources : Paul Valéry, Cours de poétique, édition de William Marx, Bibliothèque des idées, Gallimard, deux volumes (2023) ; William Marx, Valéry ou la Littérature, cours au Collège de France à écouter en ligne sur le site de l’établissement ; Louis Aragon, Traité du Style, L’imaginaire Gallimard (1996).

Le journal de mars 2023

le kiosque de Stephan, un porte-plume & un saint pluviophile

vendredi31

Le kiosque de Stephan – Place Catalogne, Perpignan

Depuis bientôt quinze ans j’allais acheter ma presse au kiosque de Stephan. C’était un rituel. Gagnés par la force de l’habitude, nous l’accomplissions l’un l’autre avec la même ferveur. Un mot parfois suffit et l’air du temps.

Je ne peux pas dire que je connaissais Stephan mais, impression curieuse, il me semble quand même le connaître un peu. Il était devenu un familier. Nous vivions dans un même monde.

Son visage, son accent. Sa manière alerte et faussement désinvolte de rendre la monnaie. Peut-être n’accordait-il à l’argent que l’attention qu’il mérite alors qu’il était contraint par le métier de compter avec soin.

Cet homme auquel je serre une dernière fois la main, supporteur inconditionnel du Barça (il porte le maillot du club lors de grandes confrontations), je ne le reverrai peut-être plus jamais car Stephan cesse son activité ce soir-même et rien ne dit que nous nous reverrons un jour tant la vie est incertaine. Je n’assisterai pas au moment où il va fermer sa devanture. Ce n’est pas là ma place. Il doit seul baisser le rideau du kiosque dont il occupait l’espace minuscule depuis vingt-six ans, sept jours sur sept moins le dimanche après-midi et quelques rares vacances. Cette heure est sienne.

Ce soir un familier s’éloigne et c’est un peu de moi qu’il emporte, dissipé dans les ombres.

jeudi30

Passée sous silence. La journée, une parenthèse sans mots. Pas parvenu à lire ni écrire une seule ligne. Epreuve abordée sans la sensation de l’épreuve. Il y a quelque chose d’apaisant dans le fait de remettre son corps entre des mains expertes et inconnues. 

… ôté à moi-même, que puis-je ?

mardi28

Débat sur la motion de censure à l’Assemblée nationale

Au dixième jour de manifestation contre la réforme des retraites, la question que beaucoup se posent : comment sortir d’une situation de tension croissante ? Quelle issue pour la République et la démocratie mises à mal par l’intransigeance d’un monarque-président ? 

Le Monde publie une tribune dans laquelle Bastien François, professeur de science politique à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, dresse un état des lieux de la situation politique après le rejet de la motion de censure transpartisane déposée le 20 mars contre le gouvernement et sa réforme controversée.

« Voilà le gouvernement à l’arrêt, écrit l’universitaire, et son chef réel, le président de la République, incapable de tracer une autre perspective qu’un élargissement fort improbable, de la majorité relative qui le soutient jusqu’à présent à l’Assemblée nationale. Voilà la mobilisation sociale relancée, les oppositions ragaillardies, les potentiels alliés d’hier (les Républicains) fracturés, le camp présidentiel lui-même gagné par le doute. Voilà la défiance installée partout, dans la rue et au Parlement. Voilà la violence qui se déchaîne, nourrie par l’arrogance, parfois le mépris et, en tout cas, la surdité des gouvernants ». 

« Dans n’importe quel autre régime parlementaire, poursuit Bastien François, la dissolution de l’Assemblée nationale s’imposerait pour régler démocratiquement la crise politique ». Mais la Constitution de la Ve République rend l’affaire plus complexe. Faudrait-il, pour mettre un terme à la crise, en appeler à son article 10 qui « permet au président de la République de demander une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles avant sa promulgation » ? Son déclenchement se heurte à l’intransigeance  élyséenne quand le peuple réclame, lui, le retrait pur et simple de la réforme. 

La France est donc dans une impasse et celui-là seul qui détient la clé se refuse à toute issue. Pourtant, alerte Bastien François : « Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre les quatre années qui viennent avec un gouvernement incapable de s’attaquer aux redoutables défis sociaux, économiques, environnementaux et militaires que nous affrontons (…) Mercredi 22 mars, le président de la République a assuré agir en responsabilité. La responsabilité ici, alors que le sixième rapport du Giec démontre que nous n’avons plus qu’une décennie pour éviter la catastrophe, serait de surseoir à l’application de la réforme pour ne pas en obérer d’autres à venir, bien plus essentielles pour notre avenir et celui des générations futures ».

samedi25

Ses amis l’appelaient Rosette

Née dans une famille de huit enfants, elle avait débuté dans la vie comme femme de ménage chez un officier de police de Perpignan d’abord, puis chez un oncle, à Paris, qui l’avait prise sous son aile protectrice après le décès prématuré de son père et lui permit de se former à la dactylographie. 

De retour dans son Roussillon natal, Rose Blanc adhère en 1935 à la Jeunesse communiste. Dès l’année suivante, on la retrouve dans l’équipe de direction où elle se révèle « une animatrice exceptionnelle » et « une organisatrice de talent ». On lui doit l’implantation dans les Pyrénées-Orientales de l’Union des jeunes filles françaises, une organisation liée à la JC et créée en 1936 par Danielle Casanova. 

Rosette apporte toute sa force militante à la direction clandestine du Parti communiste lors de sa dissolution. En 1940, elle est chargée par le Comité central d’assurer les liaisons entre les organisations du Parti. Elle se rapproche alors de Danielle Casanova.  

Rose Blanc qui se fait appeler Amélie Garrigue – clandestinité oblige – est arrêtée par la police française en mars 1942 à Paris. D’abord incarcérée à la prison de la Santé, elle est transférée le 24 août 1942 au fort de Romainville. Le 24 janvier 1943, elle est déportée à Auschwitz où elle meurt le 15 mars 1943, victime de l’épidémie de typhus qui sévit dans le camp d’extermination. 

Ce convoi connu sous le nom de « convoi des femmes résistantes » était composé de 230 femmes. 85 % d’entre elles étaient des résistantes parmi lesquelles se trouvaient Danielle Casanova et Marie-Claude Vaillant-Couturier. A leur arrivée à Birkenau, elles franchissent le portail d’entrée en chantant la Marseillaise. Elles sont immatriculées entre les numéros 31625 et 31854. En 1944, les survivantes sont transférées au camp de femmes de Ravensbrück. Leur libération a lieu entre fin-mars et avril 1945. Au final, seules 49 des 230 déportées ont survécu. 

Ce matin, à l’appel de l’Association des Amis de la Fondation de la Mémoire de la Déportation et de Femmes Solidaires 66, hommage est rendu à la résistante Rose Blanc, assassinée à Auschwitz le 15 mars 1943. La cérémonie a lieu à l’angle des boulevards Anatole France et Frédéric Mistral où se dresse une stèle à sa mémoire, non loin d’une avenue de la ville portant son nom. Ses amis l’appelaient Rosette. 

Sources : Le site du Maitron pour la biographie de Rose Blanc. Le site Mémoire Vive pour l’historique du convoi du 24 janvier 1943. 

vendredi24

Etendoir au jardin – Carcassonne

« Il fabrique les choses avec calme compose ses objets travaille
avec dextérité »

(Benoît Casas, extrait de Combine, éditions Nous)

Ce pourrait être cela, le travail du poète.

parfois
nous heurtons le ciel

nous croyons
aux étoiles

et
nous ne savons pas

jeudi23

 Foule : 1) multitude de personnes rassemblées en un lieu. 2) en sociologie, réunion d’êtres humains considérée comme une unité psychologique et sociale ayant une sensibilité, une mentalité collective, un comportement, des caractères propres. 3) Le commun, la masse des hommes, opposé à l’élite. 

Peuple : 1) Ensemble d’humains vivant en société, habitant un territoire, ayant en commun un certain nombre de coutumes, d’institutions et, parfois, une communauté d’origine. 2) Corps de la nation, ensemble des personnes soumises aux mêmes lois. 3) Ensemble d’une population en tant que sujet de droits politiques.

La foule est par nature éphémère. Elle se rassemble spontanément en un lieu dans un but précis (manifestation festive, concert géant, rencontre sportive…). Puis elle se disperse. Ou « on » la disperse par la force si nécessaire. On ne disperse pas le peuple pas plus qu’on ne le dissout. Le peuple en tant qu’il s’est forgé comme corps de la nation, détient la légitimité que le Pouvoir lui refuse dès lors qu’il l’assimile à une foule. 

Se pose donc la question : qui défilait dans les rues de France aujourd’hui ? A n’en pas douter, le peuple en tant que corps social, mais que le Pouvoir réduisit brutalement à une foule à seules fins de lui ôter sa légitimité et justifier le recours à la force pour le disperser. 

Source : Le Grand Robert de la langue française

mercredi22

Il est 13 h. Je le regarde sur l’écran de télévision. Je l’écoute et, au fur et à mesure de l’entretien, je me demande : à qui parle-t-il ?

lundi20

Les nuées d’oiseaux ont disparu qui, de leurs cris joyeux mêlés aux éclats solaires des récréations, saluaient jadis l’arrivée du printemps.

dimanche19

Rue Petite la Réal – Perpignan

« Je ne quitterai plus le journal. C’est ici que je dois tenir, car ici seulement je le peux ». 

Journal de Kafka, 16 décembre 1910

Le cahier est le lieu où Kafka chaque soir se retire.  

« Le soir, le calme enfin revenu, Kafka ouvrait le secrétaire de son bureau et en tirait quelques cahiers à la couverture noire ou brune, format in-octavo. S’il faisait trop froid, il emportait ces cahiers, un porte plume et un flacon d’encre noire dans le salon, où les braises en passe de s’éteindre donnaient encore assez de chaleur », indique Reiner Stach dans sa biographie de Kafka. 

Peu importe la pièce où il écrit, chambre (qui dans l’appartement familial tient lieu de bureau) ou salon, le cahier est le lieu d’écriture. C’est ici que Kafka peut se tenir et tenir à la fois, tout obstacle levé qui, ailleurs dans le monde, le sépare de la littérature. 

Cahiers de Kafka, cahiers de Joë Bousquet, cahiers de Paul Valéry, cahiers d’Antonio Gramsci… toujours le cahier comme espace d’une tension vers l’écriture, seul lieu habitable en vérité. 

samedi18

Procession de Saint-Gaudérique

Rives de la Têt – Perpignan

Ce samedi, un cortège insolite se lance dans les rues de Perpignan. C’est une tradition wisigothique vieille de plus de mille ans qu’une poignée de catholiques fervents – dont certains connus pour leur sympathie avec les traditionalistes – ressort de la poussière des temps. En cette année de sècheresse record qui menace – entre autres – l’agriculture locale en peine d’adaptation au changement climatique, il s’agit d’implorer Saint-Gaudérique. Le saint patron des agriculteurs a paraît-il le don de déclencher la pluie. 

De la cathédrale Saint-Jean aux rives de la Têt où le saint doit être immergé – étape cruciale pour que le miracle s’accomplisse – la procession rassemble le banc et l’arrière banc du diocèse avec en tête l’archiprêtre de la cathédrale Saint-Jean talonné par un parterre politique composé d’une ribambelle d’élus de la majorité municipale Rassemblement national dont au moins trois adjoints et deux conseillers municipaux à l’initiative de cette célébration hors sol. Le monde agricole n’est pas en reste qui a dépêché sur place l’actuelle présidente de la chambre d’agriculture quand l’ancien président départemental de la FDSEA est parfaitement reconnaissable à sa belle carrure de rugbyman. 

Mais rien n’est facile et les difficultés s’accumulent sur le chemin des pénitents. Ce ne sont pas les reliques du saint, jugées trop fragiles, qui seront immergées dans les eaux du fleuve comme le préconise le rituel, ni son buste reliquaire en bois précieux que l’on devra en désespoir de cause se contenter de promener au-dessus des eaux afin de n’en pas altérer la matière. Fais ce que doys, advienne que pourra, dit le proverbe… 

Le maire de Perpignan Louis Aliot, avec la prudence et la malice d’un chat – animal réputé ne pas aimer la pluie -, précise de son côté au Canard Enchaîné que son parti n’est bien sûr pas à la manœuvre. « C’est une vieille tradition », se défend-il. Il ne croit pas si bien dire. Venus en observateurs pour humer l’ambiance, quelques uns qui ne croient pas au ciel partagent le sentiment étrange et singulier d’accomplir, en marge du pieux cortège, un bond de cent-cinquante ans en arrière, époque à laquelle remonte, au dire des connaisseurs, la dernière sortie du saint pluviophile.

vendredi17

L’historien Gérard Bonet pendant sa conférence à l’Université Populaire du Travailleur Catalan

Maison des communistes – Perpignan

Invité à l’Université Populaire du Travail Catalan, l’historien spécialiste de la presse Gérard Bonet lève le voile sur une entreprise de manipulation de l’opinion longtemps passée sous silence.

Le 19 octobre 1938, trente huit journaux de province participaient à la création de l’agence de presse Inter-France. Son fondateur, Dominique Sordet, était maurrassien, nationaliste et monarchiste. En 1936, il avait rédigé le Manifeste des 300, un pamphlet dirigé contre le Front populaire et diffusé dans tout le pays par 300 publications. 

L’agence prospère grâce au soutien financier de grands industriels, de banques et des caisses noires du patronat. En décembre 1938, elle peut compter sur 430 périodiques qui relaient un tract violemment anticommuniste, acte fondateur d’une agence de propagande qui, forte de ses différents outils de diffusion – bulletins, dépêches télégraphiques, maison d’édition – se transforme en redoutable machine de manipulation de l’opinion. 

Dans notre région, La Dépêche de Toulouse et L’Indépendant de Perpignan deviendront actionnaires de l’agence à partir d’octobre 1941.

Journaliste honoraire et historien, Gérard Bonet a étudié puis écrit l’histoire de cette agence en s’attachant à montrer l’influence d’Inter-France sur l’opinion entre 1940 et août 1944, date de sa dissolution. Il est une interrogation qui ne cesse de l’interpeller : pourquoi aucun historien avant lui n’a jugé utile de s’intéresser à « la plus vaste opération de propagande au service de la collaboration avec les nazis » ? Explorant à la loupe cet angle mort de l’histoire, Gérard Bonet reconstitue, par un minutieux travail d’archives, un vaste réseau intellectuel et économique qui avait basculé dans l’idéologie de la barbarie. Il démonte dans son livre les mécanismes subtils de la manipulation de l’opinion, une question qui, à l’heure des réseaux sociaux et de la prolifération des fake news, demeure d’une brûlante actualité.

Source : L’agence Inter-France de Pétain à Hitler, par Gérard Bonet. Editions du Félin. 900 pages. 35 euros.

mardi14

Communiste, je porte en moi un parti rêvé qui n’a encore jamais existé et qui n’existera peut-être jamais, mais qui scelle néanmoins l’attachement que je porte à cette entité souveraine qui me dépasse. Le Parti, une utopie concrète dans le sens que lui donna Ernst Bloch pour qui les rêves utopiques sont intégrés dans le mouvement historique réel… ou ne sont pas (Le principe d’espérance, 1954). 

lundi13

Jeux d’ombres en façade – Carcassonne

Prenant la photographie, il aperçut son ombre mêlée aux branches noueuses de mélancolie. Il se demanda si là était sa façon d’être au monde.