un continuum Dylan-temps (2)
Trois minutes & trente-et-une secondes captées le 28 août 1963, jour de la marche pour l’emploi & la liberté (ou marche pour les droits civiques) qui réunit plus de 200 000 personnes sur l’esplanade du Lincoln Memorial à Washington. L’initiative de cette manifestation revient au syndicaliste noir Asa Philip Randolph, bientôt rejoint par les leaders d’organisations engagées dans le soutien au président John Fitzgerald Kennedy après son discours du 11 juin de la même année contre la discrimination reposant sur la race, la couleur, la religion, le sexe ou l’origine des personnes, prélude au Civil Rights Act voté par le congrès des Etats-Unis le 3 juillet 1964.
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Le troisième album de Bob Dylan
sorti le 13 janvier 1964 et dans lequel
figure le titre
Only a pawn on their game
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Le 28 août 1963 à Washington, Joan Baez et Bob Dylan participent au rassemblement. Dylan qui vient de triompher au festival folk de Newport, est déjà connu comme l’auteur de Blowin’ in the wind devenu un hymne pour toute une génération militante. C’est le trio Peter, Paul & Mary qui, ce jour-là, interprète la chanson déjà inscrite à leur répertoire. Dylan, donc, chante autre chose. En l’occurrence, une chanson qui colle à la circonstance. Only a pawn on their game est un titre tout chaud sorti de sa guitare. Il vient de l’enregistrer les 6 et 7 août 1963 au Studio A de New York. Il figurera sur l’album The time’s they are a changin’ du 13 janvier 1964. Comme il le fait souvent dans cette période qui lui vaudra l’étiquette de protest singer, Dylan s’inspire de l’actualité et de sa lecture des journaux pour écrire son texte. Le point de départ est un fait réel. La chanson raconte l’assassinat de Medgar Evers, membre actif de la lutte pour les droits civiques, responsable pour le Mississippi de l’Association nationale pour l’avancement des gens de couleur (NAACP). Le crime raciste a eu lieu le 12 juin 1963 à Jackson. Il a été commis par un « pauvre blanc » qui, aux yeux de Dylan, n’est qu’un « pion dans le jeu » des politiciens, shérifs, soldats & gouverneurs.
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Ce que Dylan veut montrer dans cette chanson, c’est que le racisme dans son pays n’est pas le fait de personnes isolées ou simplement détraquées. C’est un racisme systémique, inscrit dans l’ADN d’une société américaine gangrenée. Le Ku Klux Klan, montré du doigt dans le texte, témoigne de ce racisme organisé.
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« Dans son école on apprend (au pauvre blanc)
Depuis le début et dans les règles
Que les lois sont avec lui
Pour protéger sa peau blanche
Qu’il faut garder beaucoup de haine
Alors il ne doute jamais
Du moule qu’on lui a coulé… »
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Le président Kennedy est assassiné le 22 novembre 1963 à Dallas. « It was a dark day in Dallas, Novembre ’63 / A day that will live on in infamy… » (C’était un jour sombre à Dallas, en Novembre 63 / Un jour qui restera marqué dans l’Histoire comme une infamie…) chante Dylan dans Murder Most Foul, longue ballade de dix-sept minutes sortie sur les réseaux pendant le premier confinement du Covid-19 au printemps 2020 puis gravée sur l’album Rough and Rowdy Ways sorti le 19 juin de la même année.
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Martin Luther King qui, le 28 août 1963, avait prononcé à Washington son fameux discours I have a dream, est assassiné le 4 avril 1968 au balcon de l’hôtel Lorraine à Memphis, Tennessee. Il était venu soutenir une grève des éboueurs noirs de cette ville.
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George Floyd est assassiné le 25 mai 2020, victime d’une violence policière raciste commise à Minneapolis, Minnesota, état d’où Bob Dylan est originaire (né à Duluth le 24 mai 1941).
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De plus en plus exaspéré par l’image de porte-parole de la gauche et d’une jeunesse en révolte que vient de lui coller le National Guardian dans un article du 22 août 1963 qui l’a beaucoup énervé, Dylan élimine définitivement Only a pawn on their game de son répertoire dès octobre 1964. Il n’est plus très loin le temps où l’électrique et les grandes ballades rimbaldiennes supplanteront la chanson d’actualité dans l’imaginaire dylanien.
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Militante des droits civiques dans l’Amérique des années soixante &, plus largement, des droits de l’homme dans le monde , Joan Baez interprète le même jour à Washington sa chanson We shall overcome, « la Marseillaise des droits civiques » selon Robert Shelton, biographe de Dylan. Et de fait, la chanson est reprise en chœur par le public en signe d’espoir.
« Nous vaincrons,
Nous vaincrons,
Nous vaincrons un jour… »
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Sources : Philippe Margotin & Jean-Michel Guesdon, Bob Dylan la totale (les 492 chansons expliquées), éditions Chêne/EPA. Robert Shelton, Bob Dylan sa vie et sa musique, Albin Michel Rock & Folk, 1987. Le site de traductions de François Guillez pour les paroles de Murder Most Foul.
8 décembre 2020-2 mars 2023