Le 19 septembre 1997, Le Monde des livres publie un entretien entre Philippe Sollers et Claude Simon dont le roman Le Jardin des Plantes vient de paraître aux éditions de Minuit. Cet entretien a lieu dans la maison de Claude Simon, à Salses (Pyrénées-Orientales).
Les relations entre Claude Simon et Philippe Sollers remontent à 1960 à l’époque où Philippe Sollers crée au Seuil la revue Tel Quel. Un texte de Claude Simon – La Poursuite – figure au sommaire du premier numéro paru en mars 1960.
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A Sollers, Claude Simon dit son besoin d’écrire pour décrire. « Ce que j’ai essayé de faire (dans Le Jardin des Plantes), est une description ».
Ecrire pour décrire. Montrer. Comme peindre. « A partir du moment où on ne considère plus le roman comme un enseignement, comme Balzac, un enseignement social, un texte didactique, on arrive, à mon avis, aux moyens de composition qui sont ceux de la peinture, de la musique ou de l’architecture ».
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Le roman tel que le conçoit Claude Simon n’est pas le roman de type balzacien, malgré la description ou à cause d’elle dans la mesure où Claude Simon ne lui assigne pas – il vient de le dire – une fonction sociale ou didactique. Les romanciers dont Claude Simon se sent le plus proche (il les nomme pour Philippe Sollers) sont, plutôt que Balzac, Dostoïevsky, Conrad, Proust, Flaubert. Dans l’entretien, il rappelle aussi son attachement à Céline – « Je le place très haut. (…) En art, ça ne veut rien dire, salaud ».
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Maison de Claude Simon
Salses (Pyrénées-Orientales)
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Ecrire, donc, en mettant en œuvre, dans le texte, les moyens de la peinture, de la musique et de l’architecture, cette dernière révélant chez Claude Simon un attachement particulier à la construction du roman. Ses livres sont le fruit d’une fabrication minutieuse. Ils sont conçus selon les techniques du montage et du collage que Claude Simon utilise par ailleurs pour ses réalisations plastiques. L’auteur monte/colle son texte à partir de rushes/fragments.
« Répétition d’un même élément, variantes, associations, oppositions, contrastes, etc… » sont les outils d’écriture le plus souvent maniés. Par exemple, dans Les Géorgiques, sont répétées des scènes déjà rencontrées dans d’autres textes mais écrites d’un point de vue différent, sous un autre angle comme dirait un photographe. La répétition, on la trouve également dans Le Jardin des Plantes où le lecteur, par exemple, croise à nouveau le cavalier emporté par la débâcle de 1940 dans La Route des Flandres. Chez Claude Simon, la répétition devient leitmotiv. Sa fonction est de lier entre eux les livres. Ainsi l’auteur tisse sa toile, construit son œuvre en jouant de correspondances.
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« Ecrire consiste à ordonner ». « Combiner des mots ». Et ceci « d’une certaine façon », pas n’importe laquelle mais calculée. Avant d’aborder la phase de construction du roman à partir des fragments d’écritures accumulés, il s’agit donc de préparer, classer, coloriser les séquences, leur attribuer une valeur – dans le sens pictural (relative à la couleur) ou musical (relative à la durée, soit une valeur plus ou moins longue, un soupir, un silence) – de sorte que l’ensemble, mis bout à bout, fera pièce.
Ordonnés, les mots, « d’une certaine façon », « la meilleure possible », dans la recherche exigeante du « bon motif », pour reprendre les mots du peintre tels que Claude Simon les prononce dans l’entretien. Ecrire, « c’est avant tout réussir à faire surgir des images, communiquer des sensations ».
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Quelque chose cependant précède le travail. Quelque chose sans quoi l’écriture ne saurait advenir. Ce quelque chose, c’est l’envie. Pas l’inspiration que l’auteur attendrait benoîtement, devant sa feuille blanche, comme la visite de la muse. « Ce n’est pas exprès que cela (le livre) a été fait : ni pour apporter un témoignage ni pour porter un coup. Simplement l’envie d’écrire. Comme un peintre a, avant tout, l’envie de peindre. Disons, pour employer le langage des peintres, que tout cela m’a paru un bon motif ».
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« Parfums odeurs d’été l’air qui entrait dans la chambre de la clinique avec les visiteurs Elles à la peau dorée vivantes se tenant gênées au pied du lit hâte sans doute de repartir Un moment l’odeur d’éther de formol chassée l’une en robe mauve sans manches bras de bronze buissons touffus noirs sauvages débordant des aisselles A la jonction du bras et du sein la chair dorée drue formait trois petits plis en éventail puis disparue et de nouveau l’éther. »
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Sources : « La sensation, c’est primordial », entretien Philippe Sollers-Claude Simon, archives du journal Le Monde, 19 septembre 1997 ; Philippe Forest, Histoire de Tel Quel (1960-1982), Seuil Fiction & Cie ; Claude Simon, Le Jardin des Plantes, éditions de Minuit.
5-20 décembre 2020